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Il y a 65 ans, le 4 Décembre 1946, les cinq premiers exemplaires d'une toute nouvelle voiture portant le nom de "Moskvitch-400" étaient assemblés à l'Usine de Moscovite de Voitures de Petite cylindrée (MZMA).
En URSS, même les enfants savaient que la première voiture compacte soviétique était une pure copie de l'Opel Kadett K38. Mais personne n'osait dire cela à haute voix. A l'époque, on pouvait avoir de gros ennuis en bavardant inutilement et la "supercherie" ne pouvait en aucun cas être dévoilée au grand jour !
Dans leur livre remarquable "Leninski Komsomol"(Profizdat, 1976), M. Kartsman et M. Iassinovski, racontent qu'une KIM-10 conservée alors à l'Usine Automobile de Gorki a été ramenée à Moscou, que toute la documentation technique a été rédigée et que "le bureau d'étude a commencé à étudié la meilleure façon de la moderniser". Plus loin ils indiquent : "Dans ce but, on a réussi à trouver et à amener à l'usine quelques voitures de différentes marques et modèles". Voyez ce que réussit à faire la propagande soviétique ! On ne mélange pas l'étude menée par les ingénieurs et les essais de ces voitures étrangères. Et on dit pas un mot de l'Opel Kadett...
Avec cela, est-il possible de croire que le nom de la voiture a été imaginé par Oleg Dybov, l'adjoint au responsable des fabrications ? Aucune autre proposition n'est faite. Pourtant, le nom de "Moskvitch" est mentionné pour la première fois dans le décret N°9905 du Comité d'Etat pour la Défense du 26 août 1945 "Reconstruction et développement de l'industrie automobile nationale". Ce décret fixe le délai de mise en production de cette nouvelle voiture à novembre 1946.
L'histoire de la Moskvitch commence avant la guerre quand dans les pages de la Pravda, le Professeur Zimilev, éminent théoricien de l'automobile, parle pour la première fois d'une petite voiture. Cet article reflète le point de vue des dirigeants du pays et du Politburo du PCUS mais la décision de proposer une voiture au peuple est en soi surprenante. Car par la suite est née une théorie selon laquelle le véhicule personnel a été le fossoyeur du socialisme puisqu'on a donné au citoyen soviétique le sentiment d'avoir acquis une liberté de mouvement et qu'on lui a permis d'accéder à la propriété privée. Khrouchtchev était conscient de la menace que constituait l'automobile. C'est d'ailleurs à contrecœur qu'il a donné son accord à la construction de l'usine ZAZ de Zaporojié.
La première expérience de l'usine moscovite KIM s'était soldée par un échec. Staline avait critiqué la petite KIM-10-50 et salué en parallèle l'Opel Kadett. Dans l'urgence GAZ avait utilisé un châssis de KIM-10 pour développer le projet "52". Cette KIM-10-52 ressemblait étrangement à l'Opel...
Après la guerre, au titre des dommages de guerre, les Russes reprennent les plans de l'Opel Kadett K38 de 1938 sans aucune modification. Même la calandre de l'Opel est copiée dans son intégralité. Pourtant les soviétiques ne copient pas l'Olympia, pourtant plus moderne avec son moteur à soupapes en tête et son habitacle plus spacieux. Le décret de 1945 est un ordre. Et les ordres en temps de guerre ne sont pas discutés.
Durant longtemps on nous a dit que cette copie était un trophée de guerre. C'est ce qu'indiquait le chef du bureau d'étude de MZMA, Alexandre Andronov. Les Allemands ont toujours eu une autre interprétation : les Russes ont volé la ligne de production de la Kadett ! Mais les versions sont nombreuses. Certains indiquent que les machines ont été prises dans l'usine de Brandebourg, une usine qui n'a pourtant jamais produit de voitures particulières. D'autres parlent de l'usine Rüsselsheim, mais celle-ci - la plus grande d'Opel - a été détruite par les bombardements. Comment aurait-t-on pu d'ailleurs déménager une usine, appartenant à un groupe américain - General Motors - située dans la zone d'occupation américaine ?
Est-ce que comme le prétend Andronov, les Russes ont copié des voitures ramenées d'Allemagne en partant de zéro ? Certains témoins déclarent qu'une délégation d'"ouvriers" ont été envoyés à Rüsselsheim, avec des valises pleines d'argent. C'est ce qu'affirme Leonid Belkine, un ancien employé de MZMA. Selon lui, le chef de l'administration américaine d'occupation, le Général Lucius Clay aurait refusé de prendre l'argent et les Russes sont repartis avec tout ce qu'ils ont pu emmener. Ils ont oublié les moules d'emboutissage des portes avant (réalisés ensuite chez ZiS) et les machines permettant de fabriquer les sièges. Mais Belkine, ne connaissait pas (ou n'avait pas dit) toute la vérité.
Car premièrement, l'accord des alliés stipulait que l'URSS pouvait prétendre recevoir au titre des dommages de guerre toute entreprise située dans une autre zone d'occupation (l'inverse était vrai pour les autres parties). Et deuxièmement, les archives gouvernementales de la Fédération de Russie ont permis de mettre la main sur des documents qui permettent de clarifier comment la première Moskvitch a été créée. En Allemagne avait été mis en place une "Direction pour l'étude des sciences et techniques". Elle travaillait pour l'ensemble des ministères et institutions de l'URSS (dont les fameux Commissaires des Peuples). Dans la liste des missions exécutées par cette Direction en 1946, on trouve "l'étude de la carrosserie et la réalisation d'un prototype et la réalisation des matrices d'emboutissages pour la voiture de petite cylindrée "Moskvitch". Cette mission réalisée entre le 15 décembre 1945 et le 01 mai 1946, elle a nécessité l'investissement de 471,500 marks.
Il s'avère donc que tout le développement de la voiture n'a pas été effectué en URSS mais en Allemagne.... par les ingénieurs allemands et sous contrôle des Russes ! Des commandes ont été effectuées à diverses entreprises locales. Ainsi la fabrication des pièces de carrosserie a été confiée à ESEM ((Erzgebirgische Schnittwerkzeuge und Machinenfabrik GmbH) dans la ville de Schwarzenberg. Une société renommée puisqu'elle avait fabriqué le prototype de la future Coccinelle de Ferdinand Porsche !
Détail intéressant, en mai 1945, Schwarzenberg, une ville située à 15km de Dresde, s'est autoproclamée "indépendante". L'Allemagne nazie avait capitulé et les troupes soviétiques n'étaient pas encore arrivées jusque là. Les habitants des villages environnants décidèrent de prendre le pouvoir et fonder la "République de Schwarzenberg"... Elle survivra jusqu'au 24 juin. Elle a même eu le temps de créer sa propre monnaie !
ESEM a donc réalisé pour les Soviétiques la maquette en bois de la Moskvitch à carrosserie quatre portes, 268 plans de pièces de carrosserie et 319 pièces prototypes en aluminium qui ont permis de réaliser 44 pièces de carrosseries en bois. À l'époque, ESEM employait environ 200 personnes. Les Allemands étaient dirigés par le déjà mentionné Dybov ! Le Ministère de l'Industrie Automobile de l'URSS avait 11 bureaux en Allemagne, employant 33 spécialistes russes et 440 Allemands.
Si tout ce qui a été développé par ces bureaux germano-soviétiques avait vu le jour en série, la première Moskvitch aurait été une voiture extraordinaire ! Elle aurait eu une boîte de vitesse avec double embrayage automatique, un essieu arrière hypoïde avec différentiel autobloquant, un accélérateur électromagnétique et un bloc cylindre embouti... Plus tard à Schwarzenberg on a étudié diverses variantes de carrosseries différentes de celle de l'Opel, comme par exemple un taxi avec un empattement rallongé et trois rangées de sièges.
Mais finalement on a été moins novateur et on s'est limité au strict minimum pour satisfaire les besoins de l'après-guerre. L'usine moscovite va produire, outre la berline (ou limousine quatre portes pour reprendre la terminologie allemande), le cabriolet 420A, la fourgonnette 422, le châssis commercial 420K et la 400M avec commandes déportées. La version améliorée du modèle initial a reçu en 1954 le nom de Moskvitch-401. Jusqu'au 20 avril 1956, l'usine MZMA aura produit au total 247,439 Moskvitch 400/401.
Légende des photos :
- La série de Moskvitch-400 produites pour le 800ème anniversaire de la capitale (en 1947) se distinguait pas son logo supplémentaire située sur le côté du capot. Alexandre Zakharov qui a réalisé ce dessin en 1980 pour la rubrique historique de Za Roulem a réussi a retranscrire fidèlement le dessin du designer américain Frank Hershey.
- L'Opel Kadett K-38. Entre 1937 et 1940 elle a été produite à 72,657 exemplaires en carrosseries "Normal Limousine, Special Limousine, Cabrio Limousine et 4-türige Limousine". Seule cette dernière a été copiée.
- Essais sur les routes russes. L'homologation a eu lieu juste après le début de la production en 1949. Ce modèle portait le nom de 400-420 selon le système adopté par GAZ et emprunté à Ford. Le chiffre 400 désignait le modèle et 420 le type de carrosserie. Jusqu'en 1954, 114,000 exemplaires de Moskvitch 400-420 ont été fabriqués.
- La carrosserie 420A, ou pour reprendre l'appellation allemande "4-türige Cabrio Limousine" était absente de la gamme Opel. Les Allemands ont seulement produit un cabriolet deux portes. Cette version a été conçue à Schwarzenberg. Le contour supérieur d'encadrement de portière permettait de préserver la rigidité d'ensemble. La carrosserie était en outre renforcée par rapport à la berline. La Moskvitch-420-420A a été produite à 17,742 exemplaires entre 1949 et 1954.
- L'entrée principale de l'usine ZMA en 1959. On parle la plupart du temps de MZMA pour Usine Moscovite de Voitures de Petite Cylindrée.
- Mesures de l'habitacle de la Moskvitch-400, réalisées sous la direction de Iouri Dolmatovski, pour l'Atlas des carrosseries (publié en 1961).
- La 10 millième Moskvitch. La cadence de 40,000 voitures par an devait être atteinte en 1950. C'est ZiS qui fournit les petites pièces et les panneaux de carrosserie, comme AMO-ZiL réalise de nos jours des pièces pour la Renault Logan assemblée sur l'ancien territoire de l'usine Moskvitch.
- La Moskvitch-400-422 est une fourgonnette avec carrosserie en bois et en métal d'une capacité de 250 kg produite de 1948 à 1954, puis jusqu'en 1956 sous le nom de 401-422. Un total de 11,129 véhicules de ce type ont été fabriqués.
- Dans la ville allemande de Chemnitz a été réalisé ce break à carrosserie bois et métal. La photo a été prise au printemps 1947 après la présentation au Kremlin de diverses variantes de Moskvitch aux responsables du pouvoir.
- Test du prototype APA-7 (destiné aux unités aéroportées) équipé du différentiel autobloquant allemand.
- Le modèle APA-7 est le seule modèle militaire produit par MZMA. Il a été fabriqué à environ 1000 exemplaires. Il fallait d'ailleurs souvent le remettre sur les roues après l'allumage des réacteurs (sur la photo on aperçoit un MiG-15)! L'usine a également produit 2562 châssis 420K sur lequel le Ministère de l'Industrie Alimentaire a réalisé diverses fourgonnettes.
- La réplique du prototype Moskvitch-400-424E réalisé par MZMA en 1947 (visible au Musée automobile de Riga).
Lu sur : https://www.zr.ru/content/news/387842-hronika_pervyj_moskvich/
Adaptation VG