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SeAZ : les derniers souffles...

L'usine Automobile de Serpukhov (SeAZ) a cessé son activité en novembre 2008 quand elle a produite la dernière Oka. Depuis, plus de nouvelles de SeAZ. Que s'est-il passé ? L'usine a-t'elle été pillée et détruite, comme le fut Moskvitch en son temps ou a-t-elle été déjà revendue ? "Autoreview" s'est rendu sur place et a trouvé de la vie dans les ateliers. La vie après la mort ?

L'usine de Serpoukhov, près de Moscou, a vu le jour en 1939 pour produire des motos. Mais en 1952 SMZ, l'Usine de Motocyclettes de Serpoukhov, a été réorganisée pour fabriquer des voiturettes pour personnes handicapées. Plus tard, a été conçue l'Oka, une voiture qui était destinée à remplacer les SZD, ces voiturettes devenue obsolètes. Mais en 1985, le Ministère de l'Industrie Automobile a décidé de produire également des versions "civiles" de l'Oka. On a donc demandé à VAZ d'en modifier les plans et en 1989 les premières voitures sortaient simultanément des chaînes de montage de trois usines : VAZ, l'Usine de voitures de petite cylindrée (ZMA) de Naberejnie Tchelny et SMZ. Il fut également envisagé de produire l'Oka à Elabouga, dans l'usine ElAZ à l'époque en construction, mais le projet ne vit jamais le jour.

L'Oka était donc depuis le tout début un pur produit de coopérative socialiste. Naberejnie Tchelny emboutissait les carrosseries, fabriquait les suspension et les pièces de l'habitacle, VAZ fournissait les moteurs. Ces deux usines devaient fabriquer chacune 20,000 voitures par an. SMZ, rebaptisé par la suite SeAZ, devait en sortir environ 10,000 chaque année, essentiellement des versions adaptées aux personnes handicapées.

En 1995, VAZ est le premier à arrêter de produire l'OKA, mais continue à assembler des moteurs pour ZMA et SeAZ. Pourtant, la demande est plus forte que prévue, surtout pendant la crise des années 1998-1999. En principe, ZMA aurait pu produire jusqu'à 75,000 voitures par an et SeAZ jusqu'à 25,000. De plus, dès 1993, l'usine de Serpoukhov avait acheté et mis en place une ligne de soudure et de peinture pour accomplir le cycle complet de production de l'Oka. Elle avait même commencé à emboutir des petites pièces de carrosserie. Mais Togliatti ne pouvait fabriquer qu'un maximum de 60,000 moteurs par an. Ce plafond insuffisant, comme les années de "développement du capitalisme" l'ont révélé, n'étaient même pas rentable pour VAZ. En 2006, ZMA a jeté l'éponge après être passé du protectorat de KAMAZ dans le giron de Severstal-Avto. Ne restait plus que SeAZ pour produire l'Oka, une usine qui avait été rachetée à AvtoVAZ en avril 2005 par le groupe financier et industriel AvtoKom. Après l'Oka, ZMA s'est tourné vers l'assemblage de voitures de marques étrangères. Et SeAZ ?

Le propriétaire d'AvtoKom, le pilote Viatcheslav Maleev, envisageait sérieusement un profond restyling de l'OKA pour porter sa production à l'équilibre financier. Mais, il fallait au minimum trouver un nouveau moteur. Les dernières années, VAZ produisait les moteurs et les boîtes de vitesse de l'Oka à perte : moins 240 millions de roubles pour la seule année 2004 ! Cela devenait d'autant moins rentable qu'il devenait nécessaire d'adapter le bicylindre aux normes Euro-2.

Ce qui est intéressant est que le plan stratégique de développement de Serpoukhov jusqu'en 2015, adopté en juin 2005 par le conseil municipal de la ville ne mentionnait ni SeAZ, ni l'industrie automobile en général... Les fonctionnaires de la municipalité étaient-ils déjà au courant ?

Pourtant, SeAZ continuait à chercher des solutions pour assurer sa survie. En septembre 2006, est arrivé un premier lot de moteurs chinois FAW TJ3776QE de 53ch. L'Oka ne nécessitait quasiment aucune modification pour les voir apparaître sous son capot. La société Iourol Tuning de Togliatti fut chargée de développer un nouveau kit carrosserie, et on demanda à la firme SKS-Togliatti et à AvtoStilServis de Naberejnie Tchelny de dessiner un nouveau tableau de bord avec des compteurs de Lada 110. On annonça même le projet Oka-City qui devait voir le jour en 2008. Il s'agissait d'une voiture sérieusement modernisée dont le dessin avait été commandé à Vladimir Iartsev, un ancien designer de chez VAZ officiant désormais en Belgique.

La production des voitures restylées avec le moteur FAW a débuté à l'été 2007, mais il était impossible de maintenir la voiture au prix de 140,000 roubles. AvtoKom se trouvait face à un sacré dilemme : continuer à "subventionner" la production de l'Oka tout en finançant le projet Oka-City, ou tout arrêter et perdre la majorité des fonds déjà investis. Tout en gardant de vue qu'à compter de 2008 entrerait en vigueur en Russie la norme Euro-3, avec à la clé l'augmentation du prix de vente de l'Oka de 300 dollars pour adapter son moteur chinois.

Oleg Khramkov, alors directeur de SeAZ, croyait en l'Oka et assurait qu'il pouvait en faire une voiture belle, fiable et rentable. Mais il reconnaissait aussi que la carrosserie était obsolète et qu'elle serait difficile à adapter aux exigences modernes en matière de sécurité passive et d'ergonomie. C'est pourquoi on prévoyait après agrandissement et remise à niveau de l'usine de produire des FAW Vita chinoise, des Lada Samara et des versions utilitaires de l'Oka avec divers niveaux de volume ou de charge utile.

Est arrivée l'année 2008. L'Oka était devenue plus chère que la Lada "Classique" et cette dernière a eu la faveur des organisme de protection sociale (les voitures étaient distribuées au personnes handicapées). SeAZ a essayé de réduire le prix de la voiture, en abandonnant les kits carrosserie, les rétroviseurs élégants et d'autres petites choses, mais cela n'a pas suffi : entre janvier et novembre 2008 l'usine de Serpoukhov n'a réussi à produire que 1291 Oka (dont 321 avec commandes manuelles) et l'usine s'est arrêtée définitivement. Le directeur général a changé avec une rapidité étonnante, les ouvriers ont essayé de survivre, obligés de déposer leur démission, sans perspective d'indemnisation et les tribunaux de Serpoukhov ont été inondés des plaintes de ces nouveaux chercheurs d'emploi.

Bien sûr, il y a eu des négociations avec les Chinois : Lifan, Chery, FAW, Geely, Great Wall... On a même pensé proposer à GAZ de peindre les cabines de ses camions. Mais aucune de ces idées n'a atteint le stade de l'étude de faisabilité. En décembre 2008, la cour d'arbitrage de la région de Moscou a placé SeAZ en procédure de faillite, qui s'est soldée six mois après par la nomination d'un administrateur externe.

Aujourd'hui, l'usine emploie une cinquantaine de personnes nécessaires à la maintenir à l'état de mort clinique. Des surveillants, des gardes, des pompiers, des électriciens... Si vous en enlevez ne serait-ce qu'un seul, l'électrocardiogramme deviendra plat à tout jamais. De la direction, il ne reste que deux personnes : Sergueï Khaïdakine et Oleg Stoliarov. Le premier, auparavant responsable du bureau d'étude, s'occupe désormais de vendre tout ce qui peut l'être. Le second est arrivé mi février pour occuper le poste de directeur de production, mais il remplit en fait la fonction de directeur général. Les jours où il n'a pas à jouer de rôle représentatif, Oleg prend une blouse et descend dans l'atelier où se déroulent l'un des derniers secrets de SeAZ. Car il s'avère que l'usine de Serpoukhov continuer à produire ! Et Oleg nous accompagne à l'endroit où l'on fabrique peut-être les dernières voitures sous la marque SeAZ.

Dans l'atelier d'assemblage à demi éclairé, six carrosseries de pick-up sont arrêtées sur le convoyeur. Mais pour Oleg Stoliarov précise tout de suite que ces voitures ne seront jamais terminées : si l'on dispose encore de suffisamment de pièces pour les fabriquer, y compris des moteurs (il en reste quelques dizaines), il sera impossible de les faire immatriculer. D'autant plus que toutes les voitures neuves produites actuellement en Russie doivent respecter la norme Euro-3. Les moteurs restant sont à la norme Euro-2... Nous entrons dans l'atelier de soudure, silencieux, vide et sombre. Dans un coin, une pile de passages de roues arrière, déjà sensiblement touchés par la rouille. Une autre pile : des côté de caisse. Puis des panneaux avant.

Paradoxalement, dans ces ateliers vides on n'éprouve aucun sentiment de désespoir. Ce n'est pas un cimetière. Il semble que la chaîne s'est arrêté récemment et qu'il suffirait d'appuyer sur un bouton pour qu'elle redémarre, qu'on entende les voix et le bruit des machines laissant échapper de l'huile, et que l'on aperçoive la fumée des cigarettes bon marché des ouvriers dans le fumoir.

- "Oui, tout fonctionne ! confirme Oleg. L'usine pourrait redémarrer immédiatement. Nous lubrifions ce qui doit l'être et faisons les réparations. Venez, je vais vous montrer la cataphorèse".

Dans un cuve bouillonnante, un liquide gris. Comme dans un aquarium, une pompe délivre de l'air pour éviter que le liquide stagne.

- "Cela fait longtemps que vous avez remis en marche le compresseur et le chauffage ?"

- "Nous ne les avons jamais arrêtés. Nous observons le liquide, nous prenons des échantillons. Cela nous arrive même d'y plonger une voiture".

C'est sans doute par naïveté et cela permet de ne pas s'apitoyer. Cela fait presque deux ans qu'ils pensent que l'usine va bientôt redémarrer, que des voitures vont être produites, que quelqu'un se rappellera de ceux qui l'on maintenue en état et les récompensera. Et alors que l'usine compte chaque kopeck, se réjouit de chaque vis vendue, de chaque bout de ficelle qui permet de récupérer un rouble, elle fait fonctionner ces trois compresseurs de 15 kilowatts en permanence, des dévoreurs d'électricité qui nécessitent un contrôle quotidien ! Une sorte de naïveté qui oublie les réalités commerciales dictée par les ordres d'une hiérarchie qui estime sans doute plus facile de laisser mourir ces gens plutôt que de les tuer...

Nous avions déjà vu cela par le passé dans des circonstances similaires. En février 1994, nous parcourions l'atelier d'emboutissage glacial de Moskvitch en compagnie d'Alexandre Komarov, chef d'atelier et gestionnaire temporaire de l'usine. Cette année là, il y avait encore un petit espoir pour que reprenne la production, au moins sous la forme d'assemblage de véhicules d'une autre marque. Komarov nous avait alors montré les machines prête à reprendre du service et répétait sans cesse : "Attendez l'été et nous reprendrons le travail !".

L'usine de Serpoukhov a terminé l'année passée avec une perte de 501,5 millions de roubles, 97 millions de crédits impayés et 45 millions de retards d'impôt. Comme disent les comptables, un tel bilan comptable n'est pas viable. AvtoKom présente sur son site internet une drôle d'annonce pour vendre SeAZ 30 millions de dollars, en précisant que le prix est en euros... Viatcheslav Maleev refuse de s'adresser à la presse, mais la position d'AvtoKom a été clairement exprimée par l'un des ancien direction de l'usine, Alexandre Babourine : "Ce site de production est totalement adapté à l'automobile et nous aimerions qu'il perdure, mais pour l'instant il n'existe aucune option pour assembler des voitures ici".

Des investisseurs pourraient-ils être intéressé par SeAZ pour faire de l'assemblage ? La capacité de production est faible et les investissements pour convertir la chaîne de montage pour d'autres modèles seraient élevés. Même en optimisant les surfaces disponibles, on ne pourrait produire à Serpoukhov que 30,000 véhicules par an, 50,000 tout au plus en réorganisant le site et en construisant de nouveaux bâtiments. Mais cela ne serait pas facile de porter à un niveau acceptable de rentabilité un tel projet. Il faudrait un modèle populaire à forte valeur ajoutée et facile à vendre. Le nombre de Chinois pouvant répondre à ces conditions sont faibles et de nombreux Européens ou Japonais ont déjà construit leurs usines en Russie.

Pourtant, une opportunité pourrait constituer en l'assemblage pour des constructeurs qui ont déjà atteint leur limites capacitaires : Volkswagen a annoncé être en négociations avec GAZ, Hyundai-Kia a des vues sur IzhAvto, Renault va utiliser des surfaces chez AvtoVAZ... Peut-être que l'Usine de Serpoukhov pourrait devenir la roue de secours de quelqu'un ? Certes, il faudrait réorganiser complètement les postes de soudure, mais il suffirait de rénover les robots et les lignes d'assemblages et de peinture peuvent facilement accepter tous modèles du segment A, B et même C. Selon Stoliarov, l'espérance de vie du matériel est d'encore de 5 à 7 ans, soit la durée de vie moyenne d'un modèle...

Autre opportunité : transférer chez SeAZ la production de la Samara en suivant le même scénario de production que les "Classiques" chez IzhAvto. AvtoVAZ pourrait faire à SeAZ cette proposition et fournir une grande partie de l'équipement productif : pinces de soudage, convoyeurs et même les moules des presses d'emboutissage. La capacité maximale de l'usine après sa remise à niveau serait de 50,000 exemplaires par an : il est tout à fait possible de vendre encore autant de Samara pendant 5 ans et en faisant le nécessaire on pourrait même tirer plus de bénéfices avec ces tractions avant, qu'avec les "Classiques" à propulsion. Malheureusement, chez AvtoKom il n'y a à l'heure actuelle aucun manager capable de tirer ce projet.

La réalité est donc plus difficile et plus prosaïque. L'administration externe va se traduire par la vente des actifs et la liquidation totale de l'entreprise. Et comme à Serpoukhov, on n'est pas comme à Moscou à la recherche de nouveaux terrains constructibles, personne ne voudra détruire les bâtiments : une fois vidés, ils seront transformés en bureaux ou investis par des Vietnamiens qui emballeront ici des nouilles à cuisson rapide... Il n'y a ni la volonté, ni l'argent pour faire renaître à Serpoukhov une usine automobile et il faudra tôt ou tard solder les dettes.

C'est fini, donc...

Légende des photos :

  • Seuls 5 ouvriers sur les 50 personnes présentes sont impliqués dans la production. Episodiquement ils fabriquent des ensembles de pièces de rechange pour l'Oka : des berceaux moteur, des conduites de frein, des collecteurs d'échappement. Le directeur de production, Oleg Stoliarov (au centre) n'hésite pas à participer.
  • Dans les ateliers, on trouve de nombreuses carrosseries d'Oka pick-up. Un modèle qui n'a jamais été produit en série.
  • Dans l'atelier de soudure, les pièces empilées sont déjà visiblement attaquées par la rouille.
  • Sur la chaîne, deux berlines non terminées, et une coque non soudée encore dans son gabarit. Elles seront vendues pour la ferraille.
  • Le bain de cataphorèse est maintenu en état de fonctionnement, malgré le coût.

Lu sur :
http://autoreview.ru/archive/2010/20/posledniy-vzdoh-seaza
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #SeAZ, #Oka, #Dernière