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Des Tchaïka rares ... qui ne portaient pas de croix rouge.

Une nuit, dans les rues de Hanoi, quelqu'un a observé une camionnette escortée par des véhicules blindées ... une camionnette sur base de Tchaïka GAZ-13 soviétique ! Après être sorti de la ville, le convoi s'est dirigé à travers une région cernée par les tireurs isolés vers une caverne artificielle.

Durant plusieurs jours s'est répété ce spectacle nocturne toujours dans des conditions de combats. Mais la Tchaïka ne transportait rien de précieux ... le corps du dirigeant socialiste vietnamien Ho Chi Minh ne s'y trouvait pas. L'opération fut couronnée de succès. Les spécialistes soviétiques, de Moscou et de Riga, ont poussé un soupir de soulagement : ce travail ultra secret terminé, ils pouvaient rentrer à la maison.

L'histoire de ces Tchaïka extraordinaires a commencé au milieu des années 1970 (les témoins de cette histoire ne se rappellent même pas de la date exacte), quand à Riga, la firme RAF a reçu une lettre à liseré rouge. C'est ce qui caractérisait les courriers venant de très haut, du Comité Central ou du Gouvernement, et qui contenait des commandes inhabituelles, urgentes et complexes.

Cette fois-ci il fallait, sur la base de Tchaïka, construire deux ambulances destinées au 4ème bureau du Ministère de la Santé pour les hautes autorités du Parti et du Gouvernement. Dans l'histoire de l'URSS il est venu un temps où on conduisait moins des cabriolets pour les parades, que des breaks médicalisés. D'ailleurs, à Moscou deux voitures de ce type avaient été construites en 1974 sur la base de la ZiL-114. Alors pourquoi GAZ ne s'était-il pas lancé dans la construction d'ambulances sur la Tchaïka ? Il est possible que les dirigeants de la marque aient réussi à se soustraire à ce type de commande source d'ennuis, ou qu'en haut lieu on s'était souvenu de l'expérience de RAF pour la fabrication d'ambulances. C'était une usine où travaillaient des ouvriers de haut niveau.

Les limousines Tchaïka étaient démontées et découpées, et simultanément on dessinait les versions break. Le célèbre ingénieur Ejsert participait à ce travail : il avait dirigé le groupe qui avait créé le très avant-gardiste RAF-2203. Le responsable du bureau des voitures spéciales était Iouris Pentsis. Au début le toit avait été moulé en plastiline, mais finalement l'idée de modifier autant la carrosserie avait été écartée. La roue de secours fut déplacée dans une niche près de la porte arrière gauche. Elle était recouverte d'une tablette et on trouvait des petites armoires. A côtés des civières on trouvait deux places pour les infirmiers. Le reste du matériel fut monté à Moscou.

Tout ce qui manquait d'habitude en URSS, fut comme par enchantement disponible : les vitres, les barres chromées pour les rideaux blancs, les pièces pour la porte de coffre. A noter que la voiture ne disposait pas de la peinture habituelle des ambulances : il n'y avait ni croix rouge, ni inscription.

Dans la mesure où ne touchait pas énormément à la structure des voitures de base, on ne prévoyait pas d'essais. Mais RAF estima qu'il ne s'agirait peut-être pas d'une commande unique et dessina des plans de cette GAZ-13C. Ce fut une bonne idée : chaque année la société recevait une lettre à liseré rouge. Jusqu'en 1982 jusqu'à cinq breaks de ce type furent construits à Riga chaque année, et en 1982 deux d’entre eux furent construits pour une utilisation des plus inhabituelle : les relations entre la Chine et le Vietnam s'étant aggravée, en cas de guerre entre les deux pays, il fallait évacuer le corps d'Ho Chi Minh de son mausolée. Les voitures avaient seulement des vitres latérales sur les portières avant et disposaient de la climatisation. A Hanoi, une véritable usine assurait une température constante de 16 degrés dans le mausolée ... Il fallait assurer la même dans la Tchaïka dans la jungle tropicale. On a essayé d'installer un climatiseur d'origine soviétique. Outre qu'il fallu construire pour cette installation monstrueuse de 300 kilos (!) un châssis spécial, on constata qu'il fonctionnait horriblement mal. Après avoir mis de côté la fierté soviétique, on préféra un climatiseur du japonais Toshiba. Les tests climatiques ont été effectués à Gorki : toutes les sources de température ont été vérifiées ... jusqu'à l'huile de la boîte de vitesse. Mais ce n'est qu’un début.

Un matin, très tôt, les deux camionnettes GAZ-13 traversèrent la Place Rouge, alors que c'est interdit, accompagnés de la GAI (la police routière). Elles roulaient en direction de Cheremetevo. Là elles furent chargés dans un avion qui fit escale à Mineralni Vody, Islamabad, Bombay et Hanoï. Iouris Pentsis devait livrer les deux voitures au client final et superviser la construction du garage qui allait les accueillir. La légende veut que dans un des cabinets du Parti à Riga on lui aurait souhaité bonne chance : "Tu repartiras de Hanoï, soit pour Riga avec les honneurs ... soit pour la Sibérie". Les plaisanteries des fonctionnaires de l'URSS se distinguaient par leur originalité.

Les voitures furent accueillies dans la capitale du Vietnam par des personnalités du Parti. Elles devaient quitter la soute de l’avion en marche arrière. Les longues "queues" des Tchaïka frottait contre le béton ... les personnes présentes les ont donc soulevées et retenues à la main pendant que l'ingénieur de Riga les dirigeait sur la rampe. La construction du garage dura trois mois. Et quand les voitures sont passées sur la fosse d'inspection, il s'est avéré que le carter du pont arrière de l'une des Tchaïka avait perdu toute son huile. Le déchargement de l'avion ne s'était donc pas passé sans mal. Le problème fut résolu à un niveau gouvernemental : les ingénieurs de Gorki ont en urgence dessiné des pièces de rechange et en quelques jour la voiture fut réparée. Il y eu ensuite ces essais de nuit évoqués au début de l’article : le voyage vers la caverne secrète creusée dans la montagne, mais les représentants de Riga ne furent pas autorisés à rencontrer les ingénieurs moscovites qui construisait cette caverne. Le secret devait être préservé même entre les visiteurs de l'Union.

Iouris Pentsis est rentré à Riga. Il n'est pas allé en Sibérie. La même année, en 1983, il reçut de nouveau une lettre à liseré rouge. Cette fois-ci, ce sont deux Tchaïka GAZ-14 qui furent livrées des usines de Gorki. Les exigences étaient de nouveau inhabituelles : les voitures devaient avoir la climatisation et des civières de 2,3m de long (au lieu de la taille standard de 2,1m). Ces Tchaïka étaient destinées à Cuba, dont le leader se distinguait par sa taille héroïque. Pour installer la climatisation et d'autres équipements il fallu relever le toit. Le prototype était en bois sur lequel on forma et on souda des tôles d'acier.

Après l'installation du climatiseur, les voitures ont été envoyées en chambre climatique à Togliatti ... sans penser qu'une Tchaïka est un peu plus grosse qu'une Jigouli. Il a fallu les démonter partiellement pour les faire entrer dans cette chambre froide ! Après ces tests, ces ambulances ont été repeintes en blanc ... et on a redémonté le climatiseur, dont le fréon venait de se répandre dans l'habitacle de l’une d’elle. Une fois de plus, il fallu installer, au mécontentement des hautes instances, une équipement d'origine japonaise. Les clients étaient pressants : le climatiseur fut livré en même temps que la voiture, mais les cubains refusèrent l'aide des spécialistes soviétiques pour son installation ... à la plus grande joie des ces derniers.

A Riga, dans le bureau de Iouris Pentsis (de nos jours il s'occupe de l'élaboration de l'équipement médical), à côté de licences et des diplômes, est accroché une récompense pour la création de ces extraordinaires Tchaïka : la médaille vietnamienne de "l'Amitié des Peuples". Elle est le témoin d'une histoire déjà ancienne. Une histoire si extraordinaire qu'elle semblera pour les jeunes qui n'ont pas connu l'époque socialiste, inventée ou une pure légende.

Légende des photos:

  • Pour le Vietnam, deux fourgons sur base GAZ-13C ont été réalisés.
  • Des Tchaïka GAZ-13C "sanitaires" ont été fabriquées jusqu'en 1982.
  • Deux Tchaïka avant leur départ pour les essais climatiques. A l'extrème gauche, le chef du bureau des voitures spéciales de RAF, Iouris Pentsis, à ses côtés les conducteurs essayeurs Iouris Snikires et Arnold Ochs.
  • Un break sur base Tchaïka GAZ-14 réalisé par RAF en 1983.
  • L'intérieur de la GAZ-14 sanitaire (elle recevait l'indice usine GAZ-RAF-3920). Elle était déjà peinte en blanc.
  • Une des GAZ-13C existant encore aujourd'hui : elle se trouve dans la collection "Les moteurs d'Octobre" et participe même à des rallyes historiques.

Lu sur : http://www.zr.ru/arch48762.html
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #GAZ, #Tchaïka, #GAZ-13, #GAZ-14