Pour les vacances de Pâques, nous avons décidé de publier un article que nous avons vraiment pris plaisir à écrire. Nous ne voulons pas faire des annonces pompeuses mais imaginez qu’à la veille de la Journée de la Victoire nous avons foncé vers Berlin au volant de la voiture la plus appropriée pour faire cela : une Lada Kalina à la couleur de « bannière soviétique » !
« C’est une Lada que vous avez là, non ? » nous demande une grand-mère allemande à l’air modeste qui nous regardait depuis longtemps et qui, pour satisfaire sa curiosité a pu surmonter sa timidité. « Chez nous avant il y avait aussi beaucoup de Lada. Maintenant, il n’y en a plus ».
Nous sommes à l’arrêt, coincés à 50 kilomètres de Berlin. L’embouteillage fait 40 kilomètres. La chaleur est inhabituelle pour cette fin avril et des véhicules de pompiers et des ambulances se faufilent entre les voitures et se précipitent vers ce que nous pensons être un accident. « Pourquoi ne coupez-vous pas le moteur ? » me demande le mari de mon accompagnatrice Comment expliquer à Michael (« Micha » comme elle l’appelle) que si nous éteignons le moteur je ne suis pas sûr qu’il redémarrera à nouveau ? Mais si nous ne l’éteignons pas, nous risquons la surchauffe. Sans aucune explication je sauve la situation à l’ancienne en ouvrant le capot. Et tous nos compagnons d’infortune peuvent admirer l’étrange moteur de cette étrange « Kalina »...
Une semaine avant cet arrêt impromptu sur cette autobahn, les amis d’amis tchèques nous avaient parlé de cela : pour leur société de location ils avaient acheté une Lada Kalina ! Et ils nous avaient proposés, en quelque sorte, de jouer leurs pilotes d’essai. A vraie dire, on ne pouvait pas rater une telle occasion ! Quand décollait le prochain vol pour Prague ?
La Kalina, malgré l’enthousiasme et la réaction de surprise des allemands qui l’ont admiré de prêt sur l’autoroute, n’est pas si rare en Europe. Oui, il y a là-bas des concessionnaires officiels Lada qui vendent et entretiennent nos voitures. C’est pourquoi la Kalina que l’on nous a prêtée à Karlova est une « Evropeïka », une version export qui n’a déjà plus la même odeur de la mère-patrie comme à sa sortie de chaîne.
Son histoire est singulière : les gars de la société de location ont acheté cette voiture en Allemagne, l’ont ramenée à Prague et on déjà refait toute sa suspension.Trouver des pièces de rechange de Kalina en Europe est d’ailleurs une autre chanson : elles sont en perpétuelle pénurie et il faut souvent attendre longtemps. Mais des connaissances russes viennent souvent à la rescousse. Ils les ont aidés à trouver des pièces de suspension. Il n’y a que les jantes alliage d’origine qu’ils n’ont pas réussi à trouver. On n’a pas l’habitude de voir la Kalina avec des enjoliveurs sur les jantes en tôle !
Ces gars nous font donc un beau geste patriotique. Ils nous prêtent la voiture gratuitement ! Il est préférable de ne pas leur demander pourquoi. Quant à moi, je me suis retrouvé ce matin d’avril dans cette rue pavée de Prague avec l’impression de vivre le jour le plus étrange de toute ma vie. Ah, voilà le Pont Charles et voilà la place Venceslas. Et voilà la « Kalina » avec laquelle on va foncer sur un millier de kilomètres en direction de Berlin, comme le firent en leur temps nos héroïques prédécesseurs !
La Kalina vibre sur ces pavés millénaires. On ne nous montre pas du doigt mais on nous regarde avec intérêt. Fringante, la Kalina se remarque dans cette monotonie faite de Skoda grises et blanches. Elle est belle et originale ! Mais, décidemment il y a bien quelque chose qui vibre à l’intérieur de l’habitacle.
Mais au moins elle roule. Légère, elle n’a pas la démarche d’un soldat. Elle est même assez vive : aux feux rouges, ce 8 soupapes réjouissant semble apprécier cette essence de qualité de la bourgeoisie européenne et accélère avec plus d’allégresse que l’on pourrait attendre. On pourrait aussi s’attendre à plus d’inconfort mais on s’habitue vite aux bruits de roulement et au bourdonnement de l’asphalte sous les pneus. Pourtant malgré cette tranquillité apparente, les vibrations et les bruits parasites semblent particulièrement élevés.
Je ne dirai pas que la Kalina peut faire honte. Elle est au niveau d’une Corsa d’avant-dernière génération. Les autobahns n’ont pas eu raison d’elle et dans les grands virages complexes de leurs échangeurs elle a tenu le cap malgré le grincement de ses ressorts. Je ne me souviens pas précisément mais il me semble toutefois que la Corsa faisait cela beaucoup mieux.
Mais la Corsa, elle, ne saurait pas emprunter ce chemin de terre où même un cycliste n’oserait pas s’aventurer. Les bosses, la boue, les ornières : la Kalina peut foutre la honte à bien des crossovers qui se coincent le nez dans le moindre nid de poule. Si j’étais un fermier allemand je la choisirai à la place d’un Duster ! Elle coûte deux mille euros de moins et aucun voisin n’a la même !
Mais ça c’est à la campagne et il faut retourner sur l’autoroute. S’insérer sur la voie de droite et y rester. Sur ces autobahns recouvertes de saletés, la puissance du vieux moteur de la Kalina est généralement suffisante mais cela ne vous permettra pas de vous aventurer ne serait-ce que sur la voie du milieu ! A plus de 100 km/h, la Kalina fait peur même si par pure abnégation nous l’avons poussé à 140 ! Je sais que nos compatriotes aiment bloquer l’aiguille du compteur mais je ne le recommande pas. La Kalina est trop imprévisible à grande vitesse et se dandine librement de gauche à droite même quand on tient fermement le volant bien droit.
Nous ressortons de l’autoroute avant d’arriver à Berlin. Autrefois c’était l’Allemagne de l’Est, ici. L’asphalte des routes est rapiécé mais, en général, il tient bon. Ici elle est dans son élément ! Ne vous préoccupez pas des BMW M et des Audi RS qui roulent à ras du sol et restez derrière les bus bloqués aux 80 km/h réglementaires. Le bruit que font les pneus et les bourdonnements de transmission me font remarquer à mes passagers que la boîte provient de la VAZ-2108 et qu’on la monte même maintenant dans la nouvelle Datsun. Elle bourdonnait comme cela il y a 20 ans et elle bourdonne encore aujourd’hui. Et elle n’apprécie toujours pas les commutations rapides et le levier bouge au moindre coup de gaz.
Cela me désole quand même un peu. Ce n’est pas par patriotisme. Je ne suis pas Poutine. Je ne voyage avec trois Kalina de rechange identiques sur une remorque. C’est pourquoi j’écoute le moindre bruit avec prudence et j’essaie de ne pas la faire souffrir. Mais même en étant prudent, la Kalina commence à faire des caprices. A commencer par le verrouillage de la boîte cassé, puis plus sérieux, la voiture qui refuse deux ou trois fois de démarrer et le début de surchauffe moteur dans le fameux embouteillage.
D’où ce choix cornélien : faut-il couper le contact au risque de ne plus démarrer ou laisser le moteur tourner en risquant la surchauffe ? Je tente alors une méthode de grand-père : mettre le chauffage au maximum et sortir de la voiture. L’aiguille de la température d’eau se stabilise. On peut de nouveau respirer.
Pas de surchauffe, pas de durit ou de joint de culasse endommagés. La Kalina nous a permis d’aller de pénétrer dans Berlin comme nos grands-parents avant de revenir à Prague par ses propres moyens. Elle ne nous a empoisonné la vie et à même amusé les autres par son apparence.
« Où allez-vous ? » ai-je fini par demander à la grand-mère de l’embouteillage.
« A Seelow, sur la tombe de mon frère. Puis après à Berlin ».
« Oui il faut, il faut. Avant une telle fête ! Nous aussi, rappelez-vous... ».
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Adaptation VG