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Chaque pays a son icône automobile, un véhicule singulier qui caractérise la nation et le peuple qui l’a construit. Pour les Américains, cette voiture est sans aucun doute la Ford Modèle T, un produit qui a motorisé des millions de personnes en leur ouvrant l’horizon au-delà de la ferme familiale. En Grande-Bretagne cette voiture est incontestablement la BMC Mini. De l’autre côté de la Manche, la Citroën 2CV brandit fièrement le drapeau tricolore français. Il ne faut pas oublier les Italiens et leur Cinquecento, diminutif de la Fiat 500.
Bien sûr, la voiture emblématique de l’Allemagne est l’irrépressible Volkswagen Coccinelle, cette merveille à moteur refroidi par air dont la production en masse a été sponsorisée par les Nazis. Mais la Coccinelle n’est qu’une moitié de l’histoire allemande. Littéralement.
Car rappelez-vous, entre 1949 et 1990 il y eut en fait deux Allemagne séparée par le Rideau de Fer de la Guerre Froide. Cachée sous ce drapé ferreux, on trouve une autre voiture célèbre qui fut chouchoutée au moins dans les pays du Pacte de Varsovie.
La Trabant est une voiture un peu laide, mais abordable et fiable, conçue pour transporter les Allemands de l’Est. En français son nom signifie « satellite », un clin d’œil au Spoutnik soviétique et peut-être aussi une référence inconsciente à la qualité des ingénieurs qui ont développé la Trabi. C’est une voiture dont le moindre détail est aussi brut que le suggère son pedigree.
Contre toute attente, je suis arrivé à conduire une de ces voitures comiques lors d’un récent voyage en Allemagne à l’occasion du Salon de Francfort. Un copain guide touristique à Berlin nous avait inscrit pour un « Trabi Safari », une attraction à faire dans la capitale allemande au même titre qu’aller voir Checkpoint Charlie ou manger une « Currywurst ». C’est en tous cas, quelque chose qui doit être fait par tous les amateurs de quatre roues ayant aussi le goût pour les expériences bizarres. Vraiment, n’y-a-t-il pas meilleure façon de visiter cette capitale européenne à travers les vitres maculées d’huile de cette relique de l’automobile communiste ? Sans doute pas.
La Trabant est une petite voiture que les Shriners conduiraient si elle ne prêtait pas autant à sourire. Une voiture qui devient encore plus petite quand un Americain essaie de s’installer sur la banquette arrière. De toute évidence, les Allemands de l’Est étaient plus petits et plus efficaces que moi, à moins qu'ils n'étaient bien moins nourris.
Sous une forme ou une autre, les Trabant ont été produites de la fin des années 50 jusqu’à la fin des années 80. Elles se distinguaient par leur carrosserie en matière composite et la traction avant, gage d’espace intérieur. Elles étaient en quelque sorte en avance sur leur temps ! Cette carrosserie était réalisée dans une sorte de plastique renforcé avec des bouts de coton ou d’autres fibres. Malheureusement, ce n’était pas une tentative avant l’heure d'être respectueux de l’environnement, mais une nécessité. Le pays ne disposait pas d’acier en quantité suffisante.
Un coup d’œil sur le capot en bakélite de la Trabant révèle quelque chose d’encore plus déprimant. Ces voitures étaient mues par une minuscule bicylindre, un moteur à deux temps car, rappelez-vous, seuls ces porcs de capitalistes ont besoins de plus de pièces mobiles et d’une plus grande complexité de combustion. Le cycle à quatre temps d’Otto ? Voilà bien quelque chose de totalement décadent.
La dernière version de la Trabant disposait soi-disant de 26 chevaux fougueux. Une puissance suffisante pour propulser cette voiture de 1100 livres à 62 miles par heure en seulement 21 secondes (NDT : les valeurs à l’américaine respectent le texte original). Croyez-moi, vous ne vivrez jamais quelque chose de plus exaltant dans votre vie que ces quelques secondes.
Notre safari commence avec les instructions sur l’itinéraire à suivre et la façon de conduire la Trabant. Un employé de « Trabi Safari » m’aide donc à démarrer la voiture, à mettre les phares et les essuies-glaces en route parce qu’il pleut... et parce qu’il manque l’un des boutons de commande.
En tant que journaliste automobile, j’ai testé beaucoup de voitures différentes. Beaucoup étaient super et d’autres pas tellement. Mais même la pire voiture que j’avais jamais testée jusqu'à présent est supérieure, et de loin, à la modeste Trabant.
Au ralenti, la voiture toute entière tremble comme un tremblement de terre. Au début je pensais que quelque chose était cassé mais cela n’était pas le cas. Cela ne veut pas dire qu’il faudrait un bon réglage, non non. La voiture tremble littéralement comme pendant un tremblement de terre force 9 sur l’échelle de Richter. Autrement dit, elle est incroyablement grossière, imitant de loin le bruit que ferait une machine au fond d’une mine. Si vous accélérez, le petit deux-temps se calme légèrement, mais c’est encore un festival.
La boîte de vitesse manuelle à quatre rapport est commandée par le levier tronqué qui a germé sur la colonne de direction. La sélection des vitesses est approximative, il est facile de se perdre dans le labyrinthe de la grille à tel point que mon copain a réussi à passer par inadvertance la marche arrière en roulant. Cette erreur à fait beaucoup de bruits, pas bien beaux, mais étonnamment la boîte a résisté !
Démarrer avec la Trabant est un peu difficile car la voiture n’a pratiquement pas de couple. C’est comme conduire une Honda. Il faut accélérer franchement dans les tours pour la faire bouger, surtout avec trois personnes à bord. Heureusement, l’embrayage pardonne beaucoup et la direction peu chargée est facile à tourner, même à faible vitesse.
Comme on peut s’y attendre, l’accélération est au mieux tranquille, au pire catastrophiquement léthargique. C’est probablement la voiture la plus lente que j’ai jamais conduite et je possède une Ford de 1936 avec seulement 100 chevaux sous le capot. Avec une absence totale de couple à bas régime, il faut impitoyablement monter dans les tours moteur pour espérer avancer. La montée vers la zone rouge fait penser à une ascension du Mont Everest, tellement elle est longue. C’est quand on sent le moteur montrer une lueur de puissance qu’il faut, une demi-seconde plus tard, passer au rapport suivant et recommencer tout à zéro.
Un aspect particulièrement ironique de cet essai était l’autocollant « No Smoking » placardé à l’intérieur. Le moteur deux temps est plus polluant qu’un poêle à charbon. Son petit tuyau d’échappement, dont le diamètre est à peine plus grand qu’une pièce d’un pence, vomit un flot ininterrompu de fumée bleutée. Et ce gaz nocif pénètre l’habitacle peu hermétique de la Trabant aussi vite qu’une armée s’abattant sur la frontière sans défense d’une nation plus faible.
En conséquence, vous commencez à avoir une respiration sifflante après seulement quelques minutes derrière le volant. Le mieux est de descendre les vitres quand vous conduisez une de ces voitures, à fortiori quand vous suivez une autre Trabant, même si cela améliore à peine la situation. Nous étions le dernier d’une colonne d’une douzaine de voitures et notre santé en a pris un coup.
Le guide menant cette procession était en communication radio constante avec nous, soulignant les sites important et partageant des anecdotes historiques sur la capitale allemande, dont je me souviens même pas ou que je n’ai même pas entendu. A vraie dire, j’ai consacré toutes mes capacités intellectuelles à essayer de ne pas me tuer ou tuer quelqu’un d’autre. Heure de pointe, temps pluvieux et cyclistes suicidaires ne sont que quelques-uns des dangers des routes berlinoises.
Après le safari, qui dure à peu près une heure, vous repartirez avec un souvenir autre que celui d’avoir frôlé la mort ou la probabilité accrue de connaître un cancer du poumon. Vos vêtements sont saturé d’une odeur huileuse que vous partagerez avec les autres jusqu’à ce que vous les laviez. Certains racontent même avoir brulé les leurs juste après cette expérience, les jugeant irrécupérables. La rumeur veut que c’était ça l’odeur du communisme : oppression avec une touche de suie.
Si jamais vous venez à Berlin, le « Trabi Safari » reste tout de même un attraction à tenter. Elle est très amusante et très abordable. Qui a encore besoin de voir une ancienne ambassade, un musée ou un espace vide où se trouvait autrefois le mur ? Allez donc tester une Trabant, une voiture si terrible que l’expérience en devient géniale.
Lu sur : http://www.autoguide.com/auto-news/2015/10/driving-the-depressing-crappy-communist-era-trabant-across-berlin.html
Adaptation VG