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Il est toujours très difficile d'écrire un article sur les objets de design industriel. Tout d'abord parce que ces objets intègrent tous les aspects de la vie humaine et de fait il faut partir dans un nombre infini de dimensions. De plus, l'une des idéologies enseignée dans les écoles de design industriel est la suivante : le design industriel doit être comme l'air qu'on respire : s'il est bon, le consommateur ne doit même pas le remarquer.
Et très souvent, le consommateur ne le remarque pas. Il n'a même pas conscience que derrière la voiture ou la machine à café se cache un designer. Seul un cercle étroit de spécialistes connait leurs noms. Pourquoi ? Apparemment pour quelques raisons culturelles développées ci-dessous.
Le consommateur aime à s'entourer d'objets qui ont une origine claire ou auxquels ils peuvent raccrocher une personne concrète : une cuisine équipée dessinée par Ora-ïto, des chaussures d'Alla Pugachova, un t-shirt de Denis Simachev. Tout serait pour le mieux, si tout ceci ne cachait pas un gros mensonge. Déclencher un besoin de consommation par le biais de la marque est quelque chose d'extrêmement simple. Et plus le mensonge est gros et plus il est facile à croire. Souvent, ceux dont le nom est inscrit sur ces objets n'ont même pas participé à leur création.
Le consommateur ne recherche pas la vérité et il est prêt à se satisfaire des plus gros mensonges. La culture pop est une grande simulation. Les valeurs de la culture de simulation sont très différentes selon les époques et la diversité sociale de la société. Comment le premier secrétaire d'un comité régional du Parti Communiste a-t'il pu rouler dans une GAZ-14 Tchaïka, alors qu'elle a été créée dans l'argile par un certain Stanislav Volkov ? Ce dernier était diplomé de l'ancienne école du baron Stieglitz.
En 1967 la Tchaïka est le premier travail effectué chez GAZ par ce designer fraîchement diplômé de l'Académie nationale des arts industriels Vera Ignatievna Moukhina de Saint-Pétersbourg. Selon la règle en vigueur de nombreux projets étaient menés en parallèle. Et le rival du jeune styliste n'était autre que Lev Eremeev (l'auteur de la Tchaïka GAZ-13 et de la Volga GAZ-21). Néanmoins, c'est le projet de Stanislav Volkov qui fut choisi. Le chemin fut long depuis les première maquettes et les prototypes roulants. La Tchaïka est finalement lancée en 1977. Elle restera sur la chaîne durant 12 ans et sera produite à 1,120 exemplaires. Stanislav Volkov a continué à travailler chez GAZ sur le design des camions de moyen tonnage ainsi que sur la GAZelle. En 2008, la GAZ-14 a reçu le statut d'objet du patrimoine culturel et technologique de l'URSS.
Bien sûr on s'écarte un peu du sujet. Car les jeans du styliste Valentin Ioudachkine sont des objets personnels. La marque a donc de l'importance pour le consommateur. La GAZ-14 est une voiture destinée à l'administration et ici c'est plus le statut social qui importe plutôt que l'expression de soi.
Généralement on connaît plus le nom de designers occidentaux. Car les traditions de l'Europe occidentale sont connues et reconnues dans le monde entier. Pensez aux variétés de tulipes, au jambon, au fromage, au whisky ou au vin. Dans le cadre de cette culture, tout le monde connait le designer de la Citroën DS, Flaminio Bertoni. Par ces traditions, le nom de Siksten Sasson, le designer des premières SAAB, a été immortalisé dans l'histoire de l'industrie automobile mondiale et les produits conçus dans le studio Pininifarina sont systématiquement identifiables par le logo bien connu.
La Russie a bien sûr ses traditions. En Russie, on a créé des produits qui sont devenus emblématiques, mais aussi des produits révolutionnaires et innovants (un terme parfois galvaudé aujourd'hui), des chefs-d'œuvre de design, mais sur lesquels on ne sait jamais raccrocher de nom.
Les hydroptères (ou hydrofoils en anglais) conçus par le bureau d'étude de Rostislav Alexeïev ne font pas exception. Tous les modèles dessinés suivent la même idée stylistique. Mais le nom de Rostislav Alexeïev n'a commencé à être largement connu qu'après la chute de l'URSS alors que la 29ème section du département du bureau d'étude industrielles qu'il dirigeait était l'un des plus prolifique à l'époque soviétique. Les futuristes hydroptères Metoer, Cometa, Spoutnik, Vikhr, Tchaïka, Belarus mais aussi les ékranoplanes ont tous un auteur. Victoria Voïkina (Kreychman), Valeriï Kvasov, Felix Pribetchenko, Alexandre et Oleg Frolov sont issus de la promotion 1958 de l'Académie nationale des arts industriels Vera Ignatievna Moukhina de Saint-Pétersbourg et ont été les précurseurs de la 29ème section. Ils ont été rejoints ensuite par de nouveaux diplômés de cette même académie : Evgueni Zaitsev, Victor Loznikov, Nikolaï Malioukov, Ivan Medvedev, Anatoliï Paroutov, Sergueï Tvetsov, Felix Chekhtman Nadezhda et Vladimir Ianov.
Entre conception et design, l'auteur lui-même ne sait parfois pas faire la distinction. Ainsi Albert Rakhmanov, ingénieur à l'Usine Automobile d'Oulianovsk (UAZ), a dessiné lui-même l'un des best-sellers du design industriel soviétique, le UAZ-469. Ce dessin, outre son caractère purement utilitaire, exprime aussi une orientation idéologique par son esthétisme. La voiture de l'Armée Rouge ne pouvait pas être agressive. L'armée soviétique n'apportait aux peuples de la planète que liberté et bonté. C'est pourquoi Albert Rakhmanov, parallèlement à l'harmonie des lignes, a recherché un visage expressif pour le nouveau tout-terrain de l'armée soviétique.
L'articulation visuelle de l'objet, en particulier sa fonctionnalité et son caractère utilitaire, est la principale caractéristique du design soviétique (on retrouve la même tradition en Scandinavie). Cela pousse les designers à rechercher harmonie et expressivité, mais plus sobrement que ce que peuvent se permettre par exemple les stylistes italiens.
Dans l'histoire du design soviétique l'un et l'autre ne s'annulent pas. La conception et le style vont de pair. Il y a peu, un livre formidable sur l'histoire de la création de Volga GAZ-24 a été publié. La recherche du style de cette légendaire voiture y est détaillée pas à pas. Des dizaines de maquettes à l'échelle 1, des centaines d'idées rejetés. Il est intéressant de voir apparaître peu à peu dans ces maquettes, les traits caractéristiques de la GAZ-24. Le designer de la GAZ-24, Leonid Tsykolenko (issu lui aussi de l'Académie nationale des arts industriels Vera Ignatievna Moukhina de Saint-Pétersbourg) a réussi à créer une voiture avec un style distinctif, expressif et dépourvu de fioritures. Il suffit de comparer la Volga avec ses concurrentes occidentales d'alors pour s'en rendre compte.
Bien qu'une grande partie du travail du designer est de rechercher et fixer l'âme de la modernité, le style n'a traditionnellement pas de valeur significative en URSS. Cela peu sembler étrange mais c'est ainsi : la compétence de base est la conception mais pas l'esthétisme. C'est probablement à cause d'un traditionnel manque de culture esthétique à l'opposée d'une solide formation technique. C'est d'autant plus vrai que le designer est aussi là pour résoudre les questions d'ordre techniques, ergonomiques et économiques.
Giorgetto Giugiaro a réussi à résoudre tous ces problèmes en même temps en créant la Golf pour Volkswagen. Il a fixé dans le style de la Golf l'air du temps : mouvement, énergie et efficacité. Cela a été la clé du succès de cette voiture devenue culte aujourd'hui. En URSS, on peut lui rapprocher la VAZ-2121 Niva : une voiture qui répond à 100% à un design mutifonctionnel. C'est Valeri Semouchkine, diplomé de l'Académie nationale des arts industriels Vera Ignatievna Moukhina de Saint-Pétersbourg, qui a signé le dessin de la Niva. C'est lui qui a imposé l'idée de mettre tout le confort d'une voiture particulière dans un véhicule tout-terrain. Voilà comment est née celle que l'on considère parfois comme le premier "crossover". La VAZ-2121 réunit conception, fonctionnalité, esthétisme et technique, et c'est pourquoi elle était très moderne au début des années 70. Mais il faut aussi remarquer que le fondement même de la conception de la Niva réside dans l'être humain. Le designer, comme avocat du consommateur face au producteur, a formulé l'idée d'un tout-terrain civil, au mépris des attributs traditionnels véhiculés par la Jeep Willys.
Des dizaines de pays du monde entier comptent des fans-clubs de la Niva mais plus étonnant encore est de savoir qu'il y a aussi des clubs d'amateurs de "lomographie". Du nom de LOMO - Union optique et mécanique de Leningrad. La lomographie est un style de vie, celui de capturer les moments forts du temps qui passe. Chez LOMO, a fonctionné l'un des département de design les plus avancés de l'URSS, dirigé durant de nombreuses années par Valentin Tsepov.
Le fanatique de Mini a certainement un club, marche dans une veste en tweed comme Mr Bean, et connaît toutes l'histoire de la conception par le designer Alec Issigonis, son idole. En URSS, les histoires sont un peu différentes. L'Union Soviétique est un pays dans lequel on regardait avec incrédulité la propriété privée. Par conséquent, l'accent a été mis sur le développement et la large disponibilité des transports publics. Certains produits légendaires du design industriel sont justement apparus dans ce domaine. L'autorail électrique ER-2 de l'Usine de matériel ferroviaire de Riga fait partie de ceux-là. L'autocar LAZ-965 avec sa prise d'air sur le toit a été produit à une quantité à rendre jaloux n'importe quel fabriquant occidental.
Mais il semble qu'il n'y ait jamais eu de fans-clubs de LAZ. On ne faisait pas attention au style et ces autobus appartenaient à des flottes publiques. Pas un seul exemplaire de LAZ-965 n'a survécu jusqu'à aujourd'hui, les autorails sont considérés comme un héritage du passé et le nom de leurs designers a été oublié. D'autres projets ont eu plus de retentissement, ne serait-ce que lors d'expositions internationales. Mark Demidovtsev, issu lui aussi de l'Académie nationale des arts industriels Vera Ignatievna Moukhina de Saint-Pétersbourg, a fait beaucoup pour l'industrie automobile soviétique. Il est considéré comme le père fondateur du centre de design d'AvtoVAZ. L'autocar PAZ-672 "Tourist Lux" qu'il a conçu en 1968 a remporté un Grand-Prix à l'Exposition internationale de Nice et bien qu'il n'a jamais été produit en série, il est tout à fait remarquable dans sa conception bien différente de ce qui se faisait à l'époque.
En 1959, une jeune diplômée de de l'Académie nationale des arts industriels Vera Ignatievna Moukhina de Saint-Pétersbourg, Svetlana Mirzoyan signe de son côté le dessin du minibus RAF-977 "Latvia". Produit en série, il a ensuite été modifié à plusieurs reprises. De nombreux sites web rassemblent avec enthousiasme des images ou des photos historiques de ce minibus.
Les produits industriels ne sont pas faits pour durer. Après avoir été fabriqués, on les utilise puis ils partent à la décharge. Pourtant comme vous aurez pu le voir avec cet article, les impressions laissées par le design de ces même produits réussit à perdurer et dans l'histoire du design de l'URSS, l'Académie nationale des arts industriels Vera Ignatievna Moukhina de Saint-Pétersbourg aura joué un rôle plus qu'important.
Lu sur : http://www.designet.ru/context/history/?id=45151
Adaptation VG