Voici un thème qui peut prêter à de longues discussions : « Adorer ou détester l’automobile russe ? ». Vous pouvez être sûrs que personne ne restera indifférent. Alexandre Yourev, de Saint-Pétersbourg énumère ses arguments en faveur de l’industrie locale.
« Hier je me promenais dans Saint-Pétersbourg et cette idée m’est venue. Quand vous observez le flux de la circulation, il y a à peine la moitié de Jigouli ou de Volga. Et la raison en simple : les véhicules d’importation ont emporté une victoire totale et inconditionnelle. C’est tout de même un peu triste...
La génération des années 90, habituée au Coca-Cola, aux hamburgers et aux Tic & Tac ne me comprendra probablement pas. Mais les gens plus âgés, je pense, seront d’accord avec moi sur certains points. C’est vrai que dans ces voitures de bourgeois c’est plus pratique, plus confortable et plus sûr. L’époque de nos voitures russes (et même soviétiques), avec on ne sait quoi d’insaisissable est révolue. Car il n’y a pas que les voitures qui ont changé. Nous aussi nous changeons...
Nos voitures rendaient les gens intelligents ! Cette thèse mérite-t-elle la controverse ? Pas du tout ! Un conducteur de voiture étrangère ne connaît que deux endroits : la place où il s’assoit et la trappe à essence. Rien qui ne nécessite de connaissances particulières sur les voitures. Alors qu’avant, même les conductrices en jupons savaient ce qu’est le moteur ou une rotule, comment ils fonctionnent et à quoi ils servent, et ce qu’il faut faire lorsqu’ils ne marchent pas. On n’avait pas besoin de son concessionnaire, il y avait toujours quelqu’un qui pouvait vous dépanner dans le garage du voisin. On se servait de sa tête et de ses mains. Il n’y avait rien de tel que la lecture des livres de réparation pour développer son esprit. Tout ceci a disparu avec l’arrivée des voitures étrangères et de leurs réparateurs agréés.
Nos voitures rendaient les gens plus aimables et plus humains. Vous me direz que c’est un non-sens ? Mais jugez par vous-même : est-ce qu’actuellement vous verriez quelqu’un dépenser la moitié de son salaire pour réparer, embellir et partir en week-end dans une voiture sur laquelle il faudrait recommencer tous les lundi suivants ? La voiture était un membre de la famille et pas un simple moyen de locomotion comme aujourd’hui. On communiquait avec elle en conséquence : pour son conducteur elle était comme sa propre femme : compréhensible, prévisible et gérable. Mais si elle était parfois capricieuse, on savait toujours quoi faire, pour la remettre dans le droit chemin. C’est vous qui la commandiez, alors qu’une voiture étrangère moderne vous commande ! Elle ne vous permet pas de rouler aussi vite que vous le voudriez, elle se gare toute seule, elle freine toute seule, elle trouve le chemin qui lui convient le mieux. Vous ne la connaissez pas, ne la comprenez pas et ne croyez pas toujours en elle. Il suffit qu’il arrive quelque chose d’incompréhensible pour ne pas savoir que faire. C’est plus une maîtresse, une aventure, qu’une femme pour la vie...
Nos voitures facilitaient la communication ! Là aussi vous ne pourrez dire le contraire. Elle permettait de l’auto-formation en faisant de vous « un garagiste ». Rappelez-vous comment étaient nos garages il y a vingt ou trente ans : ce n’était pas un bloc opératoire avec des bonhommes en blouses blanches, mais un endroit plein de vie permettant de sortir de la grisaille ambiante. Cela commençait souvent comme cela : « Petrovitch ! C’est toi qui a l’arrache rotule ? Et la clé de 13 ? Oui viens me filer un coup de main, cela ne vient pas ! ».
Souvent cela se continuait par une bière au soleil, et les problèmes du quotidien restaient derrière la porte. Aujourd’hui : vous venez, vous attendez, vous tournez trois fois en rond, vous repartez... et vous ne discutez de rien avec personne.
Avant la voiture c’était souvent la bonne excuse. « Où t’étais ? Au garage. Il fallait préparer la voiture pour l’hiver ». Pas besoin de plus d’explications. Aujourd’hui ce genre d’excuses ne tient plus : votre femme sait aussi bien que vous où se trouve le garage le plus proche, quel est le barème horaire de la réparation et que tout est marqué dans le carnet d’entretien...
Nos voitures développaient les idées et permettaient la créativité ! Vous ne me croyez pas ? Ouvrez Za Roulem et comparez la rubrique « Conseil » d’aujourd’hui et d’il y a vingt ans. C’est le jour et la nuit. Avant c’était les trucs et astuces pour réparer, et maintenant on vous explique comment faire un grattoir avec une boîte de CD, ou des lunettes avec une bouteille. Les temps changent. Nous changeons aussi. Les voitures deviennent peut-être meilleures, mais que dire de nous... Hélas.
La crise sévit sur la planète... Elle est même arrivée en Russie en provenance de l’occident, monde des belles voitures et de l’argent facile. Peut-être faudrait-il proposer aux Américains d’échanger leurs Ford ou Cadillac pour des Jigoulis ? Ou au moins contre des Volga ? Les gens deviendraient peut-être plus intelligents et plus communicatifs ? Ils trouveraient une issue plus rapide à la crise. Tous les malheurs ne viennent pas uniquement de l’économie ou de la politique, mais aussi des gens eux-mêmes.
Cela vous fait rire ? Moi aussi. Alors rions ensemble mais n’oublions pas le passé dans lequel, croyez-moi tout était encore meilleur ».
Lu sur : https://www.zr.ru/content/articles/17101-nostalgija_chto_ushlo_s_zhigulami/
Adaptation VG