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"The Yugo..." : interview de Jason Viuc.

Jason Vuic, professeur assistant d’histoire contemporaine européenne au Bridgewater College peut lister les « rares cas où la Yougoslavie est entrée dans la conscience américaine » : Vlade Diva signant avec les Lakers ; les Jeux Olympiques de Sarajevo en 1984 ; les Jeux Olympiques de Los Angeles la même année, boycottés par une douzaine de pays communistes, mais pas par la Yougoslavie ; la guerre et la dictature. « En dehors de ces quelques cas, l’objet culturel numéro un pour les Américains aura sans doute été la Yugo, mais elle est de triste mémoire » indique Jason Viuc, ce Serbe-Américain de troisième génération, auteur du livre « The Yugo : The Rise and Fall of the Worst Car in History. « Fatigué d’étudier les conflits dans les Balkans, la guerre, le nationalisme et la chute de l’Etat yougoslave », il a décidé de raconter l’histoire de la voiture réputée comme étant la pire de l’histoire. Il s’est entretenu avec Swati Pandey sur la façon dont la guerre froide, les médias et un entrepreneur américain ont fait et défait la Yugo.

Q : Comment la Yugo est arrivée la première fois aux USA ?
R : Il existe trois vraies raisons pour expliquer comment la Yugo est arrivée chez nous.

La première c’est la Yougoslavie elle-même. C’était un pays communiste indépendant. Il a rompu avec l’Union Soviétique en 1948. A compter de cette date, les USA ont poursuivi une politique appelée « Keeping Tito afloat » (Garder Tito à flot)en fournissant des armes, de la formation, des aides économiques et culturelles, en multipliant les liens culturels, en faisant tout ce qui était possible de faire pour aider et pour prendre sous son aile la Yougoslavie. C’était vraiment une pièce maîtresse de notre politique de guerre froide. Nous avons encouragé le commerce là où c’était possible et aidé les exportations des compagnies yougoslaves. Le seul problème est que la Yougoslavie avait emprunté beaucoup d’argent dans les années 70 aux banques occidentales et dans les années 80 son endettement s’élevait probablement à 20 milliards de dollars. C’est une faible somme de nos jours, mais dans les années 80 c’était un niveau pratiquement insurmontable. C’est l’une des raisons qui explique comment l’on a pu vendre une voiture communiste dans l’Amérique de Reagan. Je doute sincèrement qu’une Lada russe aurait pu se vendre en Amérique. Je ne sais pas si cela a été tenté, mais j’imagine que certains obstacles se seraient dressés face à une telle tentative.

La seconde raison est que vers 1984 les constructeurs japonais et américains avaient déserté le segment des petites voitures. On ne trouvait pas de petite voiture économique pour moins de $5,000 ou $6,000. Pourquoi ? Parce que les petites voitures ne sont pas rentables si elles sont bon marché. La Smart coûte environ $19,000. C’est beaucoup. La Mini Cooper ne peut pas être qualifiée de voiture économique : elle est le symbole d’un statut social. La Prius n’est pas une voiture économique. Elle coûte trop cher. Au milieu des années 80, il y avait une place à prendre dans le segment des petites voitures. C’était la bonne occasion pour la Yugo.

La troisième raison qui a permis à la Yugo d’arriver chez nous est un homme, Malcolm Bricklin. Je suis déchiré sur la manière dont je dois percevoir Bricklin. C’est un entrepreneur de génie, l’un des plus grands entrepreneurs de l’histoire américaine. Un homme d’idées, un rêveur et un faiseur. Il est très bon pour faire quelque chose en partant de rien. Il a été le co-fondateur de Subaru of America, mais il a vendu ses parts pour $150,000 avant que cette société ne devienne rentable. Il a créé et importé sa propre voiture en 1974.

Une voiture qui portait son nom et qui était fabriquée au Canada. Elle ressemblait à la De Lorean. C’était la voiture sexy des années 70, une sorte de machine disco. Elle avait des portes papillons et de pièces plaquées or. Bricklin avait imaginé quelque chose d’excitant, rassemblé les investisseurs autour de lui, lancé la voiture auprès de la presse. Mais elle a échoué lamentablement. Bricklin regorge de bonnes idées, mais il est assez mauvais en affaires. Bricklin a perdu de 20 à 25 millions de dollars et le Canada a payé la note. Bricklin a aussi fondé une chaîne de magasin de matériel informatique mais il a été poursuivi par les investisseurs. Il a perdu le procès et la chaîne a fait faillite. En 1984, Bricklin avait donc absolument besoin d’une autre voiture pour se renflouer. Soit il trouvait une voiture, soit il se retirait définitivement des affaires. La voiture qu’il a trouvée était la Yugo.

Ces trois facteurs sont aussi importants les uns que les autres, mais il est important de voir la Yugo comme une autre aventure de Malcolm Bricklin : une grande idée mais une mauvaise réalisation.

Q : Pourquoi la Yugo était-elle une très bonne idée au départ et comment a-t-elle terminé avec cette mauvaise réputation ?
R : Il s’agit d’un hybride entre deux modèles Fiat, la Fiat 127 et la 128 - deux voitures économiques européennes traditionnelles. Elles symbolisaient le moyen de transport sans fioritures, également fabriquées sous licence par une compagnie yougoslave, Zastava. Cela signifie que lorsque la Yugo est arrivée aux USA, elle était déjà dépassée technologiquement. Les moteurs dataient des années 60, le design extérieur des années 70. Mais le prix a attiré les acheteurs : un faible mais non négligeable pourcentage d’Américains voulaient un moyen de transport basique. La capacité étonnante de Bricklin à rameuter la presse, à jouer de la publicité gratuite, et le prix extrêmement bas de la Yugo - $3,990 en 1985 – sont les ingrédients qui ont provoqué l’engouement des consommateurs. Et le mot est faible. On a même appelé cela la Yugomania.

Le problème, c’est que les voitures ne sont pas des jeans. Dans l’industrie automobile, vous devez gagner des parts de marché et fidéliser la clientèle. Vendre à un prix très bas de la technologie dépassée vendue est pour moi la meilleure recette pour courir au désastre. Bricklin a lancé une voiture et un prix, a excité la population, mais le soufflet est retombé. Ce n’était pas la pire voiture jamais construite, mais c’était une voiture dépassée de mauvaise qualité qui devait faire ses preuves sur le marché le plus difficile du monde.

Je crois vraiment que la Yugo, qui a été la voiture européenne dont le succès a été le plus fulgurant de toute l’histoire des USA, a été victime de son propre succès. En février 1986, des mois après l’arrivée de la Yugo, la revue Consumer Reports l’a littéralement descendue dans ses pages. Consumer Reports était le magazine numéro un pour les consommateurs. Il avait un énorme pouvoir. C’est pourquoi la presse qui quelques mois auparavant avait encensée la Yugo au point d’en faire un phénomène de mode – puisque nous aimons les modes – a rebondi sur l’échec de la Yugo dans Consumer Reports. Je ne pense pas que les Américains avaient envie de lui faire son procès ou qu’il y ait eu un quelconque parti pris anti-communiste. Nous aimons les succès rapides et les déchéances aussi rapides. Nous nous délectons quand quelque chose de grand échoue.

Q : Vous avez mentionné le fait qu’il existait une tranche de la population américaine qui voulait des voitures basiques. Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
R : Oui, mais je ne saurai dire si c’est 5, 10 ou 15 pour cent. Mais aimerions-nous vraiment acheter une voiture dépouillée ? Il faudrait faire un sondage. 90% des Américains diraient probablement « Oui, je veux une voiture basique bon marché ». Mais regardez combien d’entre eux possèdent une Daewoo. 2% ? Je pourrais dire que je veux une « econobox », mais je roule en Mazda 3. Les Américains aiment les voitures. Elles sont un statut social. Et par statut je ne veux pas seulement dire que posséder une BMW signifie avoir de l’argent. Les voitures sont des symboles culturels et politiques. Elles expriment ce que nous sommes. Une berline Mercedes signifie puissance et richesse. Un SUV ou un Hummer signifie puissance et probablement des idées conservatrices. Une Prius signifie idées libérales, respect de l’environnement et probablement classe moyenne. Ce sont des généralités, certes, mais la voiture signifie quelque chose. Tant qu’elle ne cessera pas d’être ce symbole de soi, nous ne serons pas capable d'acheter une vraie voiture économique, une vraie voiture du peuple. Pourquoi les Américains voudraient conduire une voiture du peuple ? Nous sommes une nation d’individualistes. Et nous n’avons pas de vraie voiture populaire...

Q : La Yugo essayait-elle d’être cette voiture du peuple ? Est-ce en partie la raison pour laquelle elle a échoué ?
R : En Yougoslavie, la Yugo essayait d’être une voiture populaire, une voiture bon marché que tout le monde pourrait acheter. Bien sûr elle n’était pas présentée comme une voiture du peuple, comme l’Allemagne nazi avait pu présenter la Volkswagen. En Amérique, elle était présentée par Yugo America et Malcolm Bricklin comme le successeur de la Ford T et de la VW Coccinelle. Yugo America avait vraiment fait une bonne publicité avec son slogan, « La même vieille idée » et la présence de la Yugo, justement aux côtés de la Ford et de la VW. C’est une très belle publicité et je l’ai placardée à mon mur.

Q : La récession fera-t-elle que les Américains voudront – et achètent déjà – des voitures bon marché ?
R : Je ne crois pas. Je ne le crois vraiment pas. Évidemment, nous ne voulons pas, et nos compagnies ne veulent pas fabriquer de voitures basiques. La voiture actuellement la moins chère des Etats-Unis, je crois, est la Chevrolet Aveo ou la Hyundai Accent. Elles coûtent environ $10,000. C’est bon marché, mais ce n’est pas très bon marché. Il y a une double problématique : les Américains n’ont pas encore abandonné ce besoin de refléter leur personnalité dans leur voiture. Et les constructeurs ne savent tout simplement pas faire des voitures rentables à $5,000. C’est trop difficile.

Q : La Yugo a vécu plus longtemps que les gens ne pouvaient le penser. Qu’est-il arrivé à la fin ?
R : La Yugo a été vendue aux USA de 1985 à 1992. Mais elle était produite en Yougoslavie depuis 1980. En 1992 a débuté la guerre en Yougoslavie. Et comme les pièces de la Yugo venaient de toutes les anciennes républiques yougoslaves, Zastava ne pouvaient plus fabriquer la voiture. La Serbie a également été l’objet de sanctions de la part de l’ONU. Mais tout au long des années 90, Zastava a toujours réussi à trouver des pièces et a été capable de produire un petit nombre de Yugo jusqu’en 2008. Il y a eu un coup d’arrêt en 1999, lorsque l’OTAN a bombardé l’usine de la Yugo, parce que Zastava faisait partie d’un conglomérat fabriquant également des armes. En novembre 2008, la dernière Yugo a quitté la chaîne de montage. La Yugo a donc été produite pendant 28 ans, plus longtemps que la Ford T. Elle a été produite à près d’un million d’exemplaires.

Vers 2008, Zastava a été racheté par Fiat qui a rapidement décidé d’arrêter la production de cette voiture très dépassée. On a évoqué l’idée de transférer la chaîne de montage en Afrique, mais il semble que l’idée n’ait pas abouti. Mais il est fort probable que les presses et les machines outils seront envoyées quelque part. Elles ont toujours de la valeur même si elles produisent une technologie dépassée. Quelqu’un, quelque part continuera à produire des Yugo... Non honnêtement, je n’en sais rien.

Cette voiture a une histoire fascinante. J’espère réellement que Zastava s’en sortira. L’usine s’appelle désormais Fiat Automobiles of Serbia. J’espère que l’usine va devenir un centre de distribution régional en Europe de l’Est. Durant la guerre froide, entre 25,000 et 30,000 ouvriers travaillaient chez Zastava. Ils ont beaucoup souffert de la guerre, des sanctions et des bombardements. J’espère que Fiat saura en faire quelque chose de bien dans les Balkans. La Serbie a besoin de quelque chose de bien après des décennies d’obscurité.

Q : Et si la Yugo n’est pas la pire voiture jamais construite, quelle est cette voiture ?
R : Oui bizarrement, je ne pense pas que la Yugo est la pire voiture de l’histoire. Les Américains pensent vraiment que les USA sont le centre du monde. La Yugo a peut-être été la pire voiture des années 80 en matière de qualité. C’est possible. Mais le fait qu’elle respectaient les normes de sécurité et d’anti-pollution signifie qu’elle était bien mieux que d’autres voitures qui n’ont jamais pu ou jamais tenté de venir en Amérique. Il y a des voiture indiennes, russes ou chinoises qui n’auraient même pas pu y espérer.

Il y a eu des voitures vraiment atroces sur les routes américaines. Et je ne parle pas de la Pinto. Les premières voitures japonaises vendues aux USA étaient scandaleusement mauvaises. La Subaru 360 par exemple avait des portes avant suicide. Elle brulait un litre d’huile tous les 200 ou 250 miles. Comme j’aime le rappeler, il y a eu aussi la BMW Isetta. Celle-ci a été bannie des routes californiennes car trop petite et trop lente. Mais pour des raisons pas toujours très claires, la Yugo est entrée dans notre mémoire collective comme la pire voiture de l’histoire.

Lu sur :
http://www.zocalopublicsquare.org/thepublicsquare/2010/03/30/the-rise-and-fall-o\
f-the-y
ugo/
Adaptation VG

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