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Comment testait-on les voitures dans les pays socialistes ?

Mesurer la vitesse maxi en pleine circulation ou faire la course au volant de prototypes uniques était une pratique courante avant la chute du bloc socialiste. A l’époque des simulations informatiques, les souvenirs de Henrik Miroslav, qui a passé sa vie dans des centres d’essais privés dans le désert ou au-delà du cercle polaire arctique, ressemblent à un conte de fées. Pendant 30 ans, il a été pilote d’essai pour l’Institut de recherche tchécoslovaque sur les véhicules automobiles (UVMV) et a participé à l’élaboration des voitures les plus populaires du pays et à ses prototypes oubliés : de la Babeta à un nombre incalculable de motos en passant par les Skoda 1000 MB, 100, 105-136 et Favorit. Il participait aux tests d’homologation et comparait ces modèles à la concurrence étrangère durant des essais de durabilité.

« J’ai travaillé essentiellement avec l’AZNP de Mlada Bolesla, mais aussi pour d’autres constructeurs et aussi sur les projet de l’Institut. Les premiers prototypes étaient testés principalement par les fabricants eux-mêmes et nous les recevions à un stade plus avancé. C’était par exemple des modèles de pré-série. Pourtant nous trouvions beaucoup de défauts et de problèmes. Tout était consigné et transmis aux ingénieurs. Lorsque Volkswagen a racheté Skoda, tous nos dossiers ont été étudiés » se rappelle-t-il des années qu’il a passé à l’UVMV. Où les voitures étaient testées ? Exclusivement dans la circulation de tous les jours : « Pour les essais de longue durée sur 80,000 km, nous avions conçu un circuit de 420km sur le trajet Prague - Mlada Boleslav– Bezdez – Jestrebi – Melník – Slany – Rakovnik – Krivoklat – Beroun – Zdice – Príbram – Sedlcany – Votice – Benesov – Pysely – Prague. C’était le trajet sur lequel je devais conduire. Quand il pleuvait, même les pilotes d’usine Skoda ne pouvaient me rattraper » sourit-il en enchainant (souvenirs choisis) :

Mal à la jambe :
« En moto j’ai eu quelques accidents. Un jour, en tournant à gauche, un camion IFA m’a coupé la route. J’ai atterri tout droit dans un tas de gravats et je me suis cassé le pouce sur la poignée au guidon et me suis fait un gros bleu à la jambe. Durant un autre essai, nous testions ensemble des Jawa-CZ 125/175. Je roulais derrière et tout à coup mon collègue s’est arrêté et en quelques secondes il s’est retrouvé en slip. Il était comme fou. Il venait de croiser un essaim d’abeilles ».

La Embecka à l’Ouest :
« Skoda voulait vendre aussi la 1000 MB à l’Ouest. Les photos des prospectus ont été prises à Paris. Nous n’avions pas d’autoroutes pour confirmer la fiabilité de la voiture sur les longs trajets à grande vitesse. Nous l’avons d’abord testée sur l’itinéraire tortueux Prague – Benesov. Nous avons fait 600 km en 10 heures. Motokov avait ensuite convenu de faire des essais en Allemagne : le circuit partait de Prague puis passait ensuite par Dresde, Berlin puis Leipzig et retour. Nous avions 10 heures pour faire 800 km. Personne ne croirait dans quelles conditions nous avons fait cet essai : nous devions rouler à 110 km/h maxi car le ventilateur est tombé en panne. Nous avons aussi usés les pneus jusqu’à la corde. Ils n’avaient pas été conçus pour suivre un tel rythme. Après 3000 km ils étaient bons à changer. Sur la base de nos observations, Barum a modifié la structure de ses pneus. Nous avons aussi attiré l’attention des pompistes allemands ! Impossible d’ouvrir la trappe à carburant située sur l’aile avant avec la tirette intérieure. Il a fallu verser de l’eau chaude pour la dégeler ».

Les maladies de jeunesse de la Favorit :
« A l’origine, la Favorit souffrait d’un défaut au niveau du montage de l’essieu arrière. Par temps de pluie, de l’eau pénétrait dans l’habitacle. Elle avait aussi des problèmes de faux contacts au niveau des feux arrière. La voiture ressemblait à un vrai sapin de Noël. Nous avons aussi signalé des problèmes au niveau des silentbloc de suspension avant. Mais le plus gros problème a été la casse d’un bras de suspension avant qui a transpercé le plancher. Nous avons tout signalé et les ingénieurs ont corrigé ces problèmes. Pour le confort des dames, la boîte automatique avait été développée. Il y avait quelques prototypes mais qui finalement n’ont pas abouti sur un modèle de série. Je suis tombé en panne près de Krivoklate. J’ai arrêté une Jigouli. Impossible de me tirer. J’ai dû attendre une dépanneuse dans le froid. La base dans notre travail est de toujours porter des vêtements chauds. Vous ne savez jamais où le prototype va vous lâcher ! » .

Ce n’était pas toujours amusant :
« La vitesse maximale et les accélérations étaient mesurées sur une ligne droite et plate le long de la Vltava entre Zbraslavi et Mechenice. Des collègues étaient en train de tester une Lada 2106 avec une roue de mesure attachée au coffre. Un chauffeur de Tatra, peut-être à cause de la fatigue, les a percuté. L’un de mes collègues a été brulé vif, l’autre est décédé par la suite... C’est un triste souvenir ».

Nous devions avoir le moteur Wankel :
« Peu de gens savent que UVMV a commencé à travailler sur son propre moteur rotatif Wankel. A titre de comparaison, nous avons acheté trois NSU Spider. Nous avons testé les deux premières et démonté la troisième. Mais il y avait des problèmes d’étanchéité et de roulements. Les composants, venant de l’étranger, étaient chers. Le projet a été ensuite arrêté et notre moteur n’a jamais été monté dans une voiture ».

De bruit et de fureur :
« Les voitures que nous conduisions faisaient du bruit. Nous les brusquions. Il fallait les essayer à fond. En plus nous étions de jeunes garçons pleins de fougue. Je me souviens comme Petr Hrdlicka, le père de la Favorit, nous provoquait. Avec lui les pneus ne duraient pas très longtemps. Des fois, nous partions à trois voitures. Nous faisions vraiment la course. A Rakovnik, les flics nous connaissaient déjà. Nous avions des plaques d’immatriculation avec un F qui nous permettaient de rouler à la vitesse que nous voulions en dehors des zones habitées. Un jour nous testions des pneus. On nous avait masqué les yeux pour ne pas voir ceux qui étaient montés sur la voiture. On enlevait ensuite l’écharpe et nous devions décrire les différences de comportement de la voiture en fonction de telle ou telle monte. Il y avait une rivalité entre les gars de l’usine et nous. Je voulais montrer quel pilote j’étais... Je suis arrivé à fond sur le gravier enneigé et la Skoda a fini sur le toit devant un groupe de spectateurs ! Une autre fois, nous avons fait la course autour de Rakovnik avec deux 1000 MB et une Renault 8. Les routes étaient couvertes de fumier... Quand on est revenu, qu’est-ce qu’on puait ! ».

120, Emka et Rapid :
« Le concept du moteur arrière avec un avant léger est généralement assez problématique. A grande vitesse, la voiture se comporte comme sur de la boue. Elle veut aller partout, sauf tout droit ! Nous avons fait 80 mille kilomètres avec la 120 sans aucun problème. Nous avons juste remplacé les rotules supérieures de la suspension avant et pas changé une seule ampoule. Le moteur était étonnamment fiable. Même la concurrence étrangère pouvait nous envier ce moteur. Il fallait remplacer le flexible d’échappement tous les 2,000 km sur la Simca 1307. Les coussinets de bielles ont cassé à 19,000 km sur la Rover 3500. Sur la NSU Wankel j’ai cassé le moteur. Les Allemands ne comprenaient pas. La voiture a été vendue par Mototechna. Un ami l’a rachetée et m’a demandé de lui dire ce que je pensais de la voiture. S’il savait... ».

Pour les personnes handicapées, ou contre eux ? :
« Nous avons testé un nouveau tricycle à moteur pour les handicapés. Mais cela ne s’est pas passé comme prévu. Je suis tombé avec elle dans un ruisseau et je me suis fracassé la tête. Un collègue a eu une jambe paralysée. Nous ne l’avons pas recommandée pour la production en série ! ».

A la recherche d’un nouveau concept :
« Dans le cadre des travaux de recherche sur la Skoda à traction avant, nous avons testé le prototype 742 P. La voiture était exceptionnellement haute. C’était en fait une Skoda 120 LS avec un nez rallongé sur laquelle avait été monté un groupe motopropulseur de Renault 12. Vous ne croiriez pas comment elle se comportait bien. Je l’ai testé en manœuvres d’évitement, mais je n’ai pas fait d’essai longue durée. J’ai aussi testé le prototype 720. Il était jouissif. C’était une voiture moderne avec un bon moteur en aluminium situé à l’avant et entrainant les roues arrière. La cylindrée pouvait aller de 1250 cm3 à 2000 cm3. C’était une très belle voiture. J’ai testé aussi la version à conduite à droite. Seulement 15 prototypes de ce modèle avec différentes carrosseries ont été construits ».

Lu sur : http://svetmotoru.auto.cz/clanek/technika/4330/jak-se-testovala-auta-za-socialismu-pravek-nebo-doba-nedavno-minula.html
Adaptation VG

Tag(s) : #Interview, #Anecdote, #UVMV, #Skoda, #Tchécoslovaquie