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Etait-il difficile d’acheter une voiture il y a un demi-siècle en URSS, ? Et d’en vendre une ?

- Camarades ! Le théâtre de la Grèce Antique n’est pas identique au théâtre moderne !

On dit que ce sont par ces mots que le bolchévique Anatoli Lounatcharski a commencé une leçon de culture devant le prolétariat. Je pourrais commencer aussi comme cela cet article sur la vente de voiture en URSS. Les méthodes ont radicalement changé en cinquante. Cependant, à l’inverse du politicien, j’ai pu constater ces différences de mes propres yeux.

Aujourd’hui il serait impossible d’imaginer un monde sans publicité. Mais aussi sans télévision 24h/24h avec des centaines de chaînes, sans autoroutes congestionnées et sans concessionnaires de toutes marques. Et sans le vocable idoine de dealer, marketing, manager, remise, offre spéciale, carsharing, leasing et autre !

Il faut donc faire un effort d’imagination ou se représenter Moscou tel qu’on peut la voir dans le film «Trois Peupliers à  Pliouchtchikhe ». C’est bon ? Alors comment achetions-nous une voiture il y a 50 ans ? Où les vendait-on ?

Premier choc : les voitures d’occasion étaient plus chères que les neuves ! Et de plusieurs fois ! Cela peut se comprendre facilement : la demande dépassait l’offre. Il n’y avait tout simplement pas de voitures neuves. Il y en avait virtuellement mais elles étaient vendues exclusivement en passant par une liste d’attente. « Rentrez chez vous, Camarade, allez-voir votre comité syndical pour y faire votre demande : «  Je veux une voiture ! ».

On écrivait donc au syndicat. Ensuite tout dépendait où et pour qui vous travailliez ! La règle était qu’une moyenne entreprise avait un quota : disons cinq à six voitures par an. Une Volga, deux Moskvitch, trois Zaporojets. Et il y avait quelques centaines de demandes pour ces voitures. Au final, le comité du parti, le syndicat et l’administration se les partageaient. Grosso modo, l’adjoint du directeur recevait la GAZ-21, les Moskvitch allaient à un chef d’atelier et à un représentant syndical et les Zaporojets à trois vétérans de guerre ou du travail.

Etre sélectionné permettait-il de crier victoire ? Oui bien-sûr c’était déjà une victoire. Mais on était encore loin de la réception du véhicule : cette première étape permettait d’avoir son nom inscrit sur une liste d’attente. Pour 10 kopecks - acheter une carte postale avec un timbre coûtait plus cher - vous achetiez une carte où vous pouviez inscrire votre nom et votre adresse personnelle, la mettre là où on vous le disait puis attendre. Le délai était inconnu. Six mois, un an, plusieurs années... Puis un jour vous trouverez dans votre boîte aux lettres une carte avec votre écriture... Généralement c’était bon signe !

Vous aviez alors un ou deux jours - et il fallait strictement respecter l’heure marquée sur la carte - pour vous rendre dans le magasin de voiture avec cette fameuse carte, votre passeport et un gros paquet d’argent (au sens propre comme au figuré). Mais ce n’était pas encore à ce moment-là que vous récupériez votre voiture : on vous donnait une sorte de facture qui vous permettait d’aller faire la queue pour payer puis vous pouviez ensuite vous rendre dans un entrepôt, refaire la queue avec les mêmes chanceux pour obtenir ce qui restait. D’ailleurs, vous pouviez tout simplement ne pas avoir le choix si vous étiez le dernier de la journée. Mais en général, il n’y avait personne de mécontent. Comment pouviez-vous l’être lorsque vous venez d’acheter une voiture, un produit en super-pénurie !

Quand vous étiez ballerine, cosmonaute ou champion, il est fort probable que vous aviez moins de problèmes que les « simples mortels ». Et si en plus vous possédiez des coupons du Vnechposyltorg, on vous considérait presque comme étranger et pour vous il existait un magasin séparé !

Je me souviens très bien quand, au début des années 70, nous nous promenions avec un camarade sur le parking rempli de voitures du Beriozka de la Koutouzoskiï Prospekt et que nous comparions les compteurs de vitesse : quelle voiture avait le plus grand chiffre ?Il y avait là une petite boutique de souvenirs hors de prix avec dans la vitrine des dépliants publicitaires. Avec les prix ! Cette GAZ-24 rouge vif divinement belle - la dernière nouveauté - était proposée au prix de 1,850 roubles ! Et je savais parfaitement qu’à la loterie, on pouvait gagner une voiture identique dont la valeur était de 9,250 roubles ! Cinq fois ce prix !

Comment était-ce possible ? C’est très simple : je n’avais pas vu immédiatement écrit en petites lettres sur le dépliant publicitaire qu’il s’agissait du prix en coupons du Vnechposyltorg... Ces coupons c’était de l’argent d’un autre monde : celui de ceux qui vont depuis longtemps travailler à l’étranger et quelques personnes triées sur le volet. Ceux qui avaient beaucoup de ces coupons pouvaient pousser en toute sécurité la porte voulue pour échanger ces coupons contre de l’argent. Je n’ai jamais eu de coupons de ce type dans les mains et je ne peux donc pas en dire plus.
 
La loterie permettait aussi de jouer réellement pour des voitures. Il y a avait des gens qui réussissaient à gagner la leur. Ces chanceux essayaient d’ailleurs souvent de trouver un Géorgien ou un autre citoyen des républiques du sud : un billet gagnant pouvait rapporter à son propriétaire le double, voire le triple de la valeur de la voiture. On publiait souvent des feuilletons satyriques sur ce thème où un acheteur malchanceux achetait un vrai-faux billet gagnant de loterie et le faux journal avec les numéros gagnants. Le pot au rose n’était découvert qu’à la banque. « Comment, mon cher Camarade, vous pensiez avoir gagné quelque chose ? »

Très rapidement, les Volga GAZ-24 ont été mises sur des listes d’attente complètement séparées auxquelles peu de gens pouvaient s’inscrire. Je me souviens qu'au début des années 80, mes parents se plaignaient de la Jigouli familiale qui avait déjà 10 ans. Il en faudrait une neuve ! Ils avaient réussi à s’inscrire pour une VAZ-2106 ! La « Chesterka » était alors pour moi une voiture de rêve. Mais quand en novembre 1981, la fameuse carte est arrivée dans la boîte aux lettres, il y a quelque chose qui immédiatement ne m’a pas plu... A la place de 2106 il était écrit 21013 ! Pour un prix de 7,236 roubles.

C’était quoi une 21013 ? Il n’y avait pas d’internet et on ne pouvait appeler personne auprès de l'administration pour se renseigner. Heureusement, on avait quelqu’un dans notre entourage qui savait. Et la vérité c’est que c’était une VAZ-21011 avec le moteur VAZ-2101... Ça m’a tué.Mon père, au contraire, était ravi. Nous étions encore des pigeons qui n’avaient pas besoin de baguettes latérales chromées et de riches ornements sur les contre-portes. J’étais résigné mais on ne pouvait pas refuser et attendre une vraie voiture... Pragmatique, ma mère m’a rappelée que pour acheter une 2106 il faudrait de l’argent et donc vendre notre vieille voiture immédiatement. S'ils prenaient cette 21013, l’ancienne Kopeïka pourrait facilement me revenir. Bien entendu j’étais d’accord ! Et le lendemain nous nous sommes rendus sur la Varchavskaïa Chosse pour cette voiture...

Il y avait foule. Les gens étaient nerveux et irrités face à la personne arrogante du guichet. Les voitures, il y en avait. Que des 2106 ! Justement celle que l’on voulait. « Non, pour vous c’est une 21013. Et si elle ne vous plaît pas, vous repartez à pieds ! ». A côté de nous, un homme était en train de faire les papiers pour une 2101. Pourtant on lui avait envoyé une carte pour une... 2106. Il n’avait pas suffisamment d’argent. On ne pouvait pas échanger avec lui. C'était une vraie loterie ! Vous voulez la moins chère et on vous attribue la plus chère. Vous voulez la plus chère ? On vous attribue la moins chère...

Vers 17h00 je commençais à me demander si on n'allait pas acheter une Zaporojets pour quitter cet endroit peu agréable. C’est alors que la rumeur a monté. On venait d’amener une dizaine de Jigouli ! Et nous étions en cinquième sur la liste.

Il y en avait une jaune avec une grosse rayure sur le côté. Celle-là est destinée à l’homme dont le nom figure à la fin de la liste : « Je la prendrai quand même ! ». Le vendeur hausse les épaules. Mais un autre homme joue des coudes et s’exclame « C’est mon tour ! ». Et il choisit cette voiture pour lui. Je me souviens avoir entendu mon père dire : « Je prends n’importe quelle couleur ! ». Cela faisait longtemps que j'étais d’accord avec tout. Puis on nous a montré une voiture rouge. Nous nous sommes précipités et une demi-heure plus tard, nous avons franchi le portail à son bord. Victoire !

Et si vous ne figuriez pas sur une liste ? Le plus simple était alors de se rendre rue Iouzhnoportovaïa ou comme nous disions alors à « Iouzhniï Port ». Je savais ce qui se passait là-bas car en 1982 un vieil ami m’avait demandé de l'y accompagner car il voulait se débarrasser d’une 2101. Il attendait sa carte pour prendre livraison d’une 2106.

C’était un vaste espace devant un magasin avec rempli de voitures. Vous veniez et vous preniez place là où c’est libre. Et c’est tout : il fallait attendre que quelqu’un choisisse votre voiture. Il y avait beaucoup de monde. Parfois quelqu’un arrive pour poser une question. Vous démarrez le moteur, ouvrez le capot, expliquez quelque chose. On vous écoute… et on part plus loin. Parce qu’on ne vous a pas cru ? Non… Tout simplement parce que le plus souvent ceux qui posaient des questions n'étaient pas des acheteurs mais d’autres vendeurs comme toi.

Sa « Kopeïka » est parti le troisième jour. J’ai appris là-bas que l’on peut vendre une voiture de deux façons : indirectement ou directement.

Indirectement c’est quand tu viens à « Iouzhniï Port », que tu laisses la voiture avec un prix marqué dessus – disons 1,500 roubles – et que tu rentres à la maison. C’est habituellement ce que l’on fait avec une voiture en panne. La voiture peut rester là 45 jours, ensuite le prix baisse automatiquement de 20% et ainsi de suite jusqu’à ce que quelqu’un la prenne. C’était grosso modo une « manière honnête de vendre ».

L’autre manière n’était « pas tout à fait honnête ». Il fallait trouver soi-même l’acheteur – un habitant du sud, prêt à bien payer, mais qui n'avait aucun intérêt à être déclaré. L'argent allait directement dans la poche puis il fallait aller avec le gars au magasin pour dire que la Volga est vendue au Camarade Guivi Mizandari pour le prix de, disons, 3,000 roubles. Alors qu’en fait il t’avait déjà versé 30,000 roubles ! Tout le monde connaissait la combine mais personne ne disait rien et le Camarade Mizandari pouvait devenir le propriétaire de la Volga.

Avec cette méthode il y avait aussi un piège. Pour faire partie de la liste d’attente d’une nouvelle voiture (disons une Volga !) on pouvait vous demander de manière désinvolte : « Et comment avez-vous, cher Ivan Ivanovitch, vendu votre précédente voiture ? ». Vous comprenez ?

Légende des photos :

  • Ce n’est pas un stratagème de la réalisatrice Tatiana Lioznova. Il y avait aussi peu de voitures dans la rue, particulièrement tôt le matin.
  • Cette photo est unique. Voilà à quoi ressemblait dans la capitale le magasin « Avtomobili » (Voitures) sur la rue Bakounskaïa. En 1960, avant la réforme des prix de 1961, on proposait la GAZ-21 à 40,000 roubles, la Moskvitch-407 à 25,000 roubles et la « Gorbaty » à 18,000 roubles. Quelques années plus tard, je me suis rendu là-bas à pieds. A l’intérieur il y avait des panneaux marqués Volga, Moskvitch-408 et ZAZ-965A. Leurs prix étaient respectivement de 5,602, 4,511 et 2,200 roubles. Par comparaison, le salaire d’un ingénieur était d’environ 100 roubles par mois. Il y avait aussi sur chaque panneau le numéro de la liste d’attente.
  • Je n’ai jamais vu en vrai une GAZ-24 rouge vif. Pourtant dans les publicités c’est dans cette couleur qu’on vous la proposait contre des coupons ou d’autres devises étrangères.
  • On ne trouvait pas ces billets de loterie partout mais ils étaient bien en vente. En particulier à la Poste Centrale. Encore ouverte à l’époque, on y venait comme dans un musée : tout y était très beau et très intéressant. C’est là aussi qu’on affichait les résultats de cette loterie.
  • Ce magasin sur la Varchavskaïa Chosse était initialement présenté comme quelque chose venu d’une autre planète. « Viens et repose toi, nos professionnels s’occupent de tout. On peut même repeindre immédiatement ta voiture si tu as envie d’une autre couleur ».
  • On se méfiait des voitures étrangères. Elles avaient quelque chose de criminel.

Lu sur : https://www.zr.ru/content/articles/906090-kak-pokupali-mashiny-v-sssr/
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #URSS, #Ambiance