Il se murmure qu'AvtoVAZ va cesser la production de sa Classique (*). Bonne chose ou pas, ce n'est pas à moi de juger. Le temps des projets sociaux dans l'industrie automobile est déjà révolu. Peut-être n'est-il pas encore (re)venu. Qu'évoque pour moi la fin de la Classique ? Voici de quoi méditer...
Quarante ans sur la ligne d'assemblage. C'est une icône de l'industrie automobile soviétique vendue dans 90 pays et peut-être même un peu plus. Elle a été la vedette du programme de prime à la casse. C'est la "Mercedes" du Caucase. La voiture pour laquelle nos "étoiles" se sont humiliées, ont fait des courbettes, donné des concerts à des responsables du Parti et considéré comme l'honneur ultime de devenir enfin propriétaire d'une voiture qu'ils convoitaient depuis si longtemps. C'était un thermomètre de la chance et du succès de son propriétaire. Et à une époque, il en fallait beaucoup...
Combien de milliards de tonnes de pommes de terre, de choux, de carottes ou de verdure ont été transportés dans son coffre ? Combien d'enfants auraient pu partir en vacances au bord de la mer si leurs parents n'avaient pas eu ce vieux tas de ferraille? L'histoire de la Classique est l'histoire de la prospérité sans cesse croissante du peuple soviétique. Il s'agit de la voiture russe la plus accessible. La plus simple et la plus facile à entretenir. La plus commune aussi. Aujourd'hui, plus de 10 millions d'exemplaire de cette voiture roulent encore en Russie.
Mais il existe d'autres termes pour désigner la Classique. "Bassine" (taziki en russe), "Panier de noix", 'Ordure", "Avtotazy". Seuls les paresseux ne brocardent pas les glorieuses descendantes de ce symbole de l'industrie automobile soviétique. Aujourd'hui, vous comme moi, journalistes ou lecteurs, "millionnaires ou milliardaires", nous prenons un crédit pour nous achetons les voitures les plus chères possibles. Et nous crachons sur les voitures bon marché !
Je n'habite pas une datcha de la Rublevka mais dans un village normal près de Moscou. Prenez un vieil homme, de 70-75 ans, pas forcément en bonne santé mais avec toutes ses capacités intellectuelles. Il vit dans deux maisons. L'hiver à la ville, l'été dans sa datcha à la campagne. Il a du mal à marcher. Mon ami et voisin est chauffeur. Sa voiture est une Semerka (VAZ-2107). Salaire, 30,000 roubles. Deux enfants. Sa femme ne travaille pas. Ils arrivent à peine à joindre les deux bouts. Mais il a une datcha. Elle lui sert à arrondir les fins de mois. En moyenne en une saison elle lui rapporte 180,000 roubles. Pas mal...
J'observe mes autres voisins. Des personnes âgées viennent vivre chez eux l'été. Même les moins riches commencent à voir leur niveau de vie s'élever lentement. Ils vivent des excédents que leur procurent leur jardin : des légumes, des pommes de terre, du choux, des œufs, du lait de chèvre. Ils peuvent les vendre et augmenter leur retraite, ils "aident" le gouvernement en fournissant à la population des produits alimentaires. Mais pour amener à la ville ces produits, il faut une voiture. Et souvent, malgré leur revenus, il ne peuvent pas acheter une voiture neuve quand la vieille ne marche plus.
Ces gens auraient bien acheté une Semerka ou une Piaterka (VAZ-2105) mais leur production s'arrête. Cela signifie qu'il y aura moins de produits agricoles. Cela signifie aussi qu'il y aura plus de retraités dans les autobus et les métros. Cela signifie que la qualité de vie va empirer chez nous, une qualité de vie que pouvait leur procurer ces vieilles "bassines".
Qui était gêné par la Classique ? Avait-elle vraiment moins d'acheteurs ? Est-ce une voiture dangereuse ? Est-ce que tout le monde a vraiment entre les mains 12 ou 15 mille dollars pour acheter une voiture étrangère ? Quand la production de cette voiture bon marché va s'arrêter, le prix moyen des voitures en Russie va augmenter. Pour les faibles revenus, la voiture va devenir de nouveau un rêve inaccessible !
La Classique est restée en production très longtemps et son prix continuait d'être très exagéré. Coût de production : 65,000 roubles. Un vrai miracle des gestionnaires de Togliatti. Plus qu'avec tout autre modèle, c'est sur la Classique qu'on se fait escroquer le plus. C'est une ressource "criminelle" fantastique. Pourtant la Classique est une épine dans le pieds des partenaires français d'AvtoVAZ. Nulle part ailleurs, on ne produit une voiture aussi rentable. Mais elle a été conçue hors de l'alliance, elle fait de l'ombre à la Logan. Cela signifie qu'il faut s'en débarrasser.
Qui va signer l'arrêt de mort de la Classique ? C'est le détenteur de la Légion d'Honneur française et en même temps Président du conseil d'administration d'AvtoVAZ, le camarade Tchemezov. Vous pouvez bien sûr dire en plaisantant, qu'à ce titre, Tchemezov, n'est pas notre "ami". Mais il faut reconnaître que la Classique ne peut à elle seule éponger la dette de 100 milliards d'AvtoVAZ. Voilà donc l'équation : il faut certes une bonne voiture, mais si elle n'augmente pas encore plus les marges, il n'y en a pas besoin.
Que pouvons-nous faire pour éviter cela ? Ecrire à Poutine, à Medvedev, pour qu'ils militent en faveur de la voiture du peuple ? Cela ne servirait à rien. Car c'est à leur niveau qu'à été pris la décision de laisser l'industrie automobile nationale voler de ses propres ailes... Bien entendu, ce n'était pas eux puisque ces décisions datent, en général, d'il y a quinze ans. Mais il n'y a rien à faire. La Classique va bientôt mourir. Elle laissera des souvenirs heureux et de la nostalgie pour nos vieux jours.
Et les personnes âgées et les faibles revenus ? Il n'auront plus de voiture à 200,000 roubles ! Peu importe car maintenant c'est chacun pour soi. Seuls les plus forts survivront... Et puis comme on dit : "le Roi est mort, vive le Roi !". Ce roi Logan... Ce Roi de France...
(*) L'article datant du 28/03/2011, c'est désormais chose faite ! Timur Khoubaev est un analyste de l'industrie automobile russe.
Lu sur : http://kp-avto.ru/article/11462
Adaptation VG