C’est le 30 novembre que l’on fête l’anniversaire de l’Usine Automobile d’Oulianovsk. L’occasion de se souvenir comment, à cause de la guerre, il n’a fallu que 12 mois pour ériger une nouvelle usine automobile…
« Papa, papa ! Quand est-ce que tu viens nous voir, Maman et moi ? ». Demande, d’une voix étouffée couverte par le rugissement d’une foule énorme, un enfant en pleurs.
« Bientôt, mon fils, bientôt... » répète le père fatigué, bien qu'il n'ait aucune idée du moment où il reverra sa famille. La tâche consistant à démonter les équipements de l'usine Staline de Moscou et à les charger sur des wagons en dix jours semble impossible. Selon les calculs préliminaires, huit mille wagons de marchandises seront nécessaires, et même les treuils élémentaires et les cordes ne suffiront pas... Les pensées de son père, un simple ouvrier mécanicien à l’usine moscovite, sont soudainement confuses : « Pourquoi sauver cette usine, si c'est la dernière fois que je vois ma famille ?! Les Allemands se rapprochent de plus en plus de Moscou ! ». Sauf qu'il ne peut pas dire au revoir à sa famille comme tout être humain : la foule se rassemble soudainement et emporte immédiatement la mince silhouette de sa femme. Seule la voix éplorée de son fils se fait entendre au loin... C'est ainsi que l'histoire de l'Usine Automobile d'Oulianovsk a commencé.
La décision de sauver l'industrie soviétique, en précipitant les entreprises stratégiquement importantes de Moscou vers l'est du pays, a été prise dès que le front s'est approché de la capitale soviétique. Le 12 octobre 1941, les bombardiers de la Luftwaffe effectuent un important raid sur la « Usine automobile N°1 Staline ». Le 15 octobre, l'usine reçoit l'ordre de commencer l'évacuation urgente de la production. À 19 heures, le convoyeur principal, d'où sortaient les camions ZiS-5, est arrêté, et « l'opération de relocalisation », ou ce que l’on pourrait plus justement appeler « l’exploit », commence. Pensez-donc : les ouvriers de l’usine ont dû démonter et charger 12,800 pièces d’équipements pendant 11 jours, ce qui a nécessité 7,708 plateformes et wagons de chemin de fer ! Les machines et les équipements ont été suivis par les personnes : 6,907 ouvriers et 7,259 membres de leurs familles sont parties pour Miass, Troïsk, Chadrinsk et Oulianovsk !
A cette époque, Oulianovsk était un petit centre de district de l’Oblast de Kouïbychev avec 105,000 habitants. Le problème du manque de main d’œuvre nécessaire à la construction de la future usine automobile a été résolu rapidement : 90,000 habitants de Moscou ont été évacués vers la ville où ils ont dû décharger les trains de leurs propres mains, pratiquement sans utiliser d’engins de manutention (des dispositifs élémentaires comme des rouleaux de bois et des cordes ont été utilisés), puis construire une usine adaptée à la production de machines et d’armes dans les plus brefs délais. En plein champ ! En outre, il n’y avait pas de centrale électrique ou de chaufferie à proximité - un motrice diesel-électrique a été amenée pour alimenter le chantier en énergie électrique. Et le montage des machines, qui ont été évacuées en urgence de Moscou, a été difficile : des problèmes sont apparus à plusieurs reprises car ces machines avaient été littéralement déracinées à coup de chalumeau et de barre à mine.
Laissons de côté les détails et attachons-nous simplement à la chronologie des événements. Le 30 novembre 1941 (date considérée comme l’anniversaire de UAZ), l’entreprise a été enregistrée comme « Usine Automobile V.I Staline d’Oulianovsk » et la première production - des projectiles aériens - a débuté en seulement quatre mois, en février 1942 ! En mars 1942, il a été possible de commencer la fabrication d’outils et les premiers camions ZiS-5 ont été assemblés en avril. A vrai dire, cela n’a pas été sans problème : les camions ont été produits sans moteur car l’usine de Miass n’avait pas réussi à lancer la production en même temps. En octobre, lorsque l’approvisionnement régulier en moteurs a été établi, la chaîne de montage principale a commencé à tourner à la cadence de 60 véhicules par jour. Soit moins de 12 moins entre le début de l’évacuation et la pleine production !
Dans un premier temps, les OulZiS était des camions à ridelles ZiS-5 d’avant-guerre assemblés avec des ensembles de pièces évacués de l’usine de Moscou. Mais à la fin du mois d’avril 1942, les premiers ZiS-5V (la lettre « V » pour Militaire en russe) - une version simplifiée du camion de trois tonnes créée par Ivan Guerman - ont été fabriqués dans les installations d’Oulianovsk. Par rapport à ses collègues civils, le « Zakhar Ivanovich » (comme les chauffeurs militaires le nommaient respectueusement) se distinguait par son dessin simplifié. Mais la disposition de la mécanique et les principales solutions techniques restaient identiques. Le camion était propulsé par un moteur 6 cylindres de 5,6 litres développant 73 chevaux, qui pouvait consommer non seulement du carburant à faible indice d’octane, mais aussi de la paraffine, la transmission aux roues arrière se faisant par une boîte à 4 rapports (mécanique bien entendu).
Il est intéressant de noter qu’en ces temps de guerre le ZiS-5 avait perdu beaucoup de poids : les modèles produits auparavant pesaient plusieurs centaines de kilos de plus ! On n'avait pas lésiné sur les économies. La cabine était habillée de lattes de bois clouées plutôt de métal et le toit en contreplaqué recouvert de similicuir remplacé par une simple bâche huilée. Bien sûr, le siège conducteur fait de rares fils d’acier, avait dû être remplacé par une simple « chaise » en contreplaqué et en laine matelassée. Le camion avait également perdu ses freins avant et son phare droit, tandis que la plateforme de chargement et les marchepieds était en bois. Tout cela avait permis d’économiser 214 kg ! Mais l’essentiel était que ce camion puisse être assemblé par des personnes âgées, des femmes et des enfants car il n’y avait pas d’autre main d’œuvre disponible : tous les hommes valides étaient envoyés au front...
Outre le ZiS-5, l’usine d’Oulianovsk a réussi à construire plusieurs centaines de camions Studebaker US6, un véhicule 6x6 que les Américains livraient à l’Union Soviétique dans le cadre du programme Lend-Lease (ou « Prêt-Bail »). Les ingénieurs qui avaient quitté Moscou pour Oulianovsk avaient non seulement résolu les problèmes de production et maîtrisé l'assemblage de véhicules étrangers, mais aussi... conçu de futurs véhicules ! Tout cela, en temps de guerre, dans une usine qui a longtemps été chauffée par la vapeur de locomotives à vapeur mises au rebut... Pourtant leurs idées ne furent pas considérées comme utiles et ces ingénieurs ont été transférés à l’usine de Miass, en février 1944, en même temps que toute la production du modèle ZiS-5. L'histoire de l'usine d'Oulianovsk aurait pu s’arrêter là...
Heureusement, après la guerre, les capacités de production inutilisées jusqu’alors ont été employées jusqu’en 1950 pour la production des camions GAZ-MM 1,5 tonnes (les mêmes qui, à l’origine, étaient des copies sous licence du Ford AA américain de 1929). Certaines sources indiquent même qu'elles l'ont été jusqu’en 1956. En octobre 1954, sur décision du Ministère de l’industrie automobile de l’URSS, un autre modèle de GAZ - le tout-terrain GAZ-69 - a été envoyé en exil à Oulianovsk. Jusqu'à la fin de sa vie, le légendaire « Kozlik » est même resté formellement un modèle GAZ : produit par UAZ, il était marqué du nom du constructeur de Gorki !
En même temps que la maîtrise de la production du GAZ-69, l’Usine Automobile d’Oulianovsk a finalement obtenu l’indépendance tant attendue. En haut lieu, elle a été autorisée à ouvrir son propre bureau d’étude pour concevoir des véhicules sous sa propre marque. Le premier projet de ce type (qui n’avait d’ailleurs aucun équivalent dans le monde !) a été la gamme de fourgons UAZ-450 à transmission permanente aux 4 roues, un modèle toujours en production aujourd’hui ! Le modèle suivant a été le UAZ-459, un 4x4 qui a remplacé le GAZ-69 dans l’armée. Puis sont venus les Simbir, Hunter et Patriot… Mais ça, c’est une autre histoire.
Lu sur : https://auto.mail.ru/article/35832-uaz-syin-voennogo-vremeni/
Adaptation VG