Comme toutes les histoires compliquées, celle-ci a commencé naïvement. Nous voulions tout simplement raconter où se trouve maintenant la dernière Yugo.
Le dernier exemplaire de Yugo est sorti des chaînes de production de la Zastava Automobili le 11 novembre 2008 et porte le numéro de série 794,428. Où est-elle passée ? Les gens perdent des parapluies, leurs papiers et parfois leur esprit, mais est-ce que dans le pays où elle était fabriquée, aucun musée automobile n’aurait conservé ce qui aurait dû l’être en tant que témoignage du grand passé industriel de la Serbie et de la Yougoslavie ?
Les ouvriers de la Zastava Automobili avaient pleuré en mettant un gros nœud et un autocollant sur le hayon avec les mots « Un triste adieu ». En arrêtant les machines le 11 novembre 2008, ils n’avaient été réconfortés que par la nouvelle que la dernière Yugo partirait avec les honneurs et serait exposée avec les autres modèles produits par Zastava dans un musée qui serait construit à Kragujevac. La direction de l’époque l"avait affirmé : « elle ne sera pas vendue, mais sera exposée dans un musée »...
On prévoyait d’y exposer les premières « Fico » avec des portières s’ouvrant à contre-sens, la Zastava 1300 plus connue sous le nom de « trois cents », plusieurs « Stojadin » (Zastava 101) dont celle de l’expédition Kragujevac-Kilimandjaro...
« Allez voir ce qui est arrivé à la dernière Yugo fabriquée le jour de l’Armistice et trouvez [le musée où sont exposées] ces voitures » voilà ce que nous conseillait le rédacteur en chef de Novosti. Il suffisait de trouver le musée Zastava Automobili à Kragujevac… Enfin c’est ce que nous pensions naivement car même Google ne pouvait répondre et nous dire où il se trouvait !
Dans les archives de Novosti nous avons retrouvé des preuves que les véhicules historiques ont été vus pour la dernière fois en 2013 dans le bâtiment de l’Institut « Zastava » qui faisait alors déjà partie de Fiat. Les derniers dirigeants du géant de Kragujevac en liquidation, qui comptait alors seulement trois employés, ont affirmé qu’il avait été convenu avec le gouvernement de l’époque que le musée serait situé là même où ces voitures avaient été produites, c’est-à-dire les locaux qui appartenaient déjà à Fiat. Cependant, ils n’avaient pas la confirmation de Fiat qu’ils s’intéressaient à ce musée mais ils racontaient avoir remis aux Italiens « l’inventaire » où en plus de ces véhicules, étaient listés de nombreux documents, récompenses, affiches, articles sur l’usine…
On a ensuite découvert que l’Institut « Zastava » avait demandé quelques temps plus tard au Musée des Sciences et Technique de Belgrade de se charger des véhicules du « musée Zastava », ce qui est son obligation légale. Il leur a indiqué qu’ils se situaient dans le complexe Fiat de Kragujevac mais les conservateurs du musée de la capitale serbe n’ont pas été autorisés entrer et à les voir.
C'est pourquoi nous avons demandé de l’aide au Museum Stara Livnica de Kragujevac, un musée fondé en 1953 et qui fait aujourd’hui partie de l’usine « Zastava Oruzje ». On nous a répondu qu’ils recevaient des appels tous les jours avec la même question, à laquelle ils n’avaient pas la réponse. « Tout le monde nous appelle à cause de ces voitures, et nous n’avons aucune idée de l’endroit où elles pourraient se trouver. Nous avons perdu le contact dans les années 1990, lorsque les usines de voitures et d’armement ont été séparées » nous ont déclaré les aimables responsables du musée.
Pour notre enquête nous avons également appelé l’ancien dirigeant du syndicat de Zastava, Zoran Mihajlovic, qui s'est intéressé à l'affaire : « Le musée a été planifié et les véhicules sont restés chez Fiat, sur le site de l’ancien Institut, et même le plan d’urbanisme prévoyait un espace pour le musée, mais il n’a pas été construit jusqu’à aujourd’hui ».
Il a ajouté : « Je me souviens de ce triste 11 novembre où nous avons senti que nous fermions notre deuxième maison. Les jeunes ne peuvent même pas imaginer ce qu'était le géant « Zastava », employant 40,000 à 50,000 personnes pour fabriquer des voitures, le produit industriel le plus complexe qui soit. L'usine était ruinée par la désintégration de la Yougoslavie et les sanctions internationales, puis nous avons perdu à la fois les sous-traitants et le marché. Le monde a changé, la politique internationale a déterminé qui peut avoir une industrie, et qui retournera à l'ère préindustrielle ».
Toutes les pistes mènent donc à Fiat. Nous nous sommes donc adressés à la branche serbe de la grande entreprise. Une jeune et sympathique employée du service d'information a écouté attentivement nos questions sur le mystérieux « musée Zastava ». Après consultation de sa hiérarchie, elle nous a répondu : « Nous sommes la société « Fiat-Chrysler » et nous ne pouvons vous aider qu’avec nos véhicules, nous n'avons rien à voir avec « Zastava ». Vous devez contacter le bureau de représentation de la Zastava Automobili ».
La jeune employée ne sait pas que l'ancien géant automobile serbe et yougoslave avait été liquidé depuis longtemps. Celui qui a produit plus de quatre millions de véhicules, dont plus de 700,000 ont été exportés vers 71 pays à travers le monde...
L'enquête n'a rien donné. Nous n'obtiendront pas de réponse de Fiat. L'histoire du « musée Zastava » et le sort de la dernière Yugo restent ainsi du domaine du mystère…
Lu sur : https://www.novosti.rs/vesti/reportaze/1058208/traga-poslednjeg-juga-iako-ispracen-suze-radnika-sudbina-automobila-proizvedenog-pod-brojem-794-428-nepoznata
Adaptation VG