Les camions Avia sont devenus le symbole immortel des transports routiers tchécoslovaques. Souvent moqués, ils ont gagné le titre de véhicules les plus rapides sur nos routes car ils bloquaient souvent de longues files de voitures. Mais ils ne méritent pas le surnom de « peste bleue » dont ils ont été affublé en raison de leur couleur bleue car ils ont fait un sacré boulot en leur temps.
Pendant pratiquement toutes les années 1950 et 1960, l’industrie automobile tchécoslovaque a oublié les besoins de son économie nationale en termes de camions légers à deux essieux avec une charge utile allant jusqu’à trois tonnes. Mieux encore, les dirigeants de l’économie planifiée les avaient aussi oubliés. Les modèles à succès d’avant-guerre, le Skoda 150 d’une tonne et demie (connu par la suite sous les noms d’Aero 150 et Praga 150) et le Praga RN/RND de trois tonnes avaient cessé d’être produits respectivement en 1951 et 1955.
Le problème a été résolu en important par exemple les Garant 30 K et 32 est-allemands et leurs successeurs, les Robur LO 2500. Il est également vrai que, jusqu’en 1960, le Tatra 805 était en production dans le pays. Mais il était destiné uniquement à l’armée et était terriblement secret. De plus il s’agissait d’un véhicule conçu spécialement pour les évolutions tout-terrain, peu adapté à usage routier comme l’ont compris plus tard ceux qui ont utilisé à des fins civiles des 805 militaires réformés...
Au cours des années 1960, le problème devenant de plus en plus pressant, le gouvernement a décidé de relancer la production nationale de véhicule utilitaires dans les catégories de poids susmentionnées. La société Avia de Letnany (un village devenu en 1968 un quartier de Prague) a été chargée de mener cette tâche à bien. Et afin d’accélérer le lancement de la production, l’achat d’une licence à l’étranger a été préféré, bien que le développement en interne ait également été envisagé au départ.
Dans la première phase, trois entreprises étrangères avaient été considérées comme partenaires potentiels : la française Saviem qui faisait partie du groupe Renault, l’allemande Hanomag et la branche britannique de Ford. La préférence fut clairement donnée aux Français, parce que le parti au pouvoir était plus proche d’eux, ou plutôt le seul relativement proche d’eux. La France s’était précédemment retirée de l’OTAN et Renault était alors une entreprise purement publique, de sorte qu’il n’y avait aucun problème à ce que les devises durement gagnées par la Tchécoslovaquie soutiennent un Etat capitaliste. Le pays n’aurait pas pu choisir un partenaire occidental plus acceptable politiquement !
L’objet de l’accord de licence était la Super Goélette SG2 avec une charge utile de 1,500 kg et le Super Galion SG4 avec une charge utile de 3,000 kg. C'est en fonction de ces paramètres que leurs pendants tchécoslovaques ont été appelés Avia A15 et Avia A30.
Les utilitaires français Super Goélette et Super Galion, alors pratiquement nouveaux, passaient inaperçus mais ont connu une carrière plus ou moins réussie. Ils ont également eu un grand succès à l’exportation, en particulier vers des marchés moins exigeants (on l’a aperçu par exemple sur des images du conflit syrien…). En Italie, Alfa Romeo en a aussi produit sous licence, mais pas dans la même mesure que Avia. Les Saviem ont suscité beaucoup moins d’enthousiasme en Allemagne de l’Ouest, où ils ont été pourtant vendus pendant un certain temps sous la marque MAN (Renault et MAN ont collaboré étroitement dans les années 1960 et 1970 dans le secteur des camions, initialement pour les moteurs). Mais revenons à Letnany.
L’accord de licence a été signé en 1967. Au début, quelques dizaines de véhicules ont été assemblés principalement à partir de pièces importées de France. Rapidement, cependant, de nouveaux halls de production ont été construits dans l’usine de Letnany, par exemple un atelier d’emboutissage et de peinture avec des technologies de production modernes. Puis, avec l’implication de filiales et de fournisseurs externes, les Avia ont été progressivement fabriqués de plus en plus dans le pays, jusqu’à ce que l’on soit totalement libéré de la fourniture des pièces en provenance de France.
Il convient de souligner que les Avia A15 et A30 n'étaient pas de simples copies des modèles français mais que le bureau d’étude de Letnany les avait modifiés en fonction des spécificités, des besoins et surtout des possibilités nationales. Mais les concepteurs avaient procédé de manière à ce que les différents ensembles et leurs pièces puissent être interchangés avec les originaux.
L’Avia était destiné au transport de marchandises sur courte et moyenne distance y compris sur routes non carrossables. Ils se caractérisaient par leur économie de fonctionnement. Par exemple, la consommation moyenne de carburant de l'Avia A30 dans sa version bâchée (et son aérodynamique d’armoire normande) était donnée pour 13,5 litres aux 100 km.
Le moteur Avia type 712 à refroidissement liquide était utilisé. L’Avia A15 a débuté avec le moteur 712.03 (3,319 cm3 et 71 ch), l’Avia A30 avec le moteur 712.01 (même cylindrée mais 79 ch). Les modifications apportées par la suite se sont accompagnées d’une amélioration des moteurs, avec une cylindrée et une puissance accrue.
Les Avia n’étaient disponibles qu’en version à double essieu et roues arrière motrices. Les A30 plus grands étaient produits avec trois empattements différents : châssis court, normal ou allongé. L’A15 plus petit n’était disponible qu’en une seule valeur d’empattement mais les deux longueurs - raccourcie ou normale - n’étaient dues qu’au porte à faux arrière différents. Vous pouviez identifier l’A30 de l’A15 en un clin d’œil en observant les roues arrière : le A30 avait des roues jumelées, pas l’A15.
La cabine à trois places était relativement confortable, identique sur les deux types. En ce qui concerne les carrosseries, l’usine de Letnany produisait principalement les versions de base, comme des plateaux ridelles bâchés et bien sûr des châssis nus pour l’adaptation de nombreux types de carrosseries par des filiales ou d’autres fabricants spécialisés.
Ainsi à Horni Herspice, on produisait différentes carrosseries ainsi qu’une cabine allongée, pas si courante et qu'il est miraculeux de trouver aujourd'hui. À Ivancice, on a produit des véhicules destinés aux campagnes reculées c'est-à-dire des magasins mobiles ou des bureaux de poste mobiles, et à Zilina des camions à benne simple, des camions-citernes ou des fourgons avec la caisse reliée directement et sans discontinuité à la cabine. Mais il y a eu des dizaines de carrosseries spéciales. On peut citer par exemple les caisses isothermes, les bétaillères, les véhicules incendie ou les plateformes élévatrices. Certaines de ces versions ont été produites en quantités très limitées, y compris des véhicules spéciaux pour les aéroports comme un camion pompe pour les déchets « biologiques »…
En 1979 est apparu l’Avia A20, qui a remplacé l’A15 dont il était d’ailleurs dérivé en augmentant la charge utile de 250 kg grâce à l’utilisation de freins plus efficaces. Il convient de mentionner ici que les charges utiles mentionnées (1,5 t, 2 t et 3 t) sont nominales et varient en fonction du poids à vide du véhicule donné par le type de carrosserie. La valeur clé était le poids brut maximal qui, par exemple, était de 5,950 kg pour l’Avia A30 soit en-dessous de la limite de six tonnes pour une utilisation en ville.
La modernisation qui a abouti à l’introduction des Avia A21 et A31 en 1983 consistait principalement en un moteur plus puissant et une boîte de vitesses à cinq rapports au lieu de quatre. La raison de cette décision était d’augmenter le rendement énergétique du véhicule. Sinon, à première vue, il ne se distinguaient pas de leurs prédécesseurs. La dernière innovation sur l’Avia original fut l’utilisation de moteurs turbocompressés. A partir de 1993, les deux types ont été baptisés Avia A21T et A31T. Leur production a pris fin moins de cinq ans après, mettant un terme à la riche lignée des camions Avia basés sur la licence Renault Saviem.
Jusqu’à la chute du socialisme, la production de l’usine Avia n’était pas suffisante pour répondre à la demande. Un retournement de situation est survenu au début des années 1990. Il n’était pas dû à l’expansion de la production mais à un déclin marqué de la demande nationale et étrangère pour ces véhicules déjà obsolètes. Au total, environ 235,000 Avia A15, A30, A20, A21, A31, A21T et A31T ont été produits, y compris les châssis considérés comme des produits semi-finis pour les fabricants de minibus. Plus de 80,000 Avia ont été exportés, notamment vers l’Union Soviétique.
Evoquons ces fameux minibus. Au tournant des années 1960/1970, un total de treize minibus Karosa A30 ont été produits chez Karosa à Vysoke Myto. Comme leur nom l’indique, ils étaient basés sur un châssis Avia A30. Les prototypes d’un minibus de ligne et d'un minibus longue distance « Lux » ont reçu des éloges non dissimulés lors de leur présentation. Cependant, leur production en série n’a pas été autorisée par le Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM) et d’autres fabricants ont été désignés pour fabriquer des minibus. C’est pourquoi, outre les deux prototypes mentionnés ci-dessus, Karosa n’a produit que 11 minibus spéciaux pour la Radio tchécoslovaque.
Avia a aussi mené des projets en commun avec d’autres entreprises du bloc socialiste, lorsque ses châssis ont été utilisés par des partenaires étrangers pour produire différents véhicules, là encore généralement des minibus. Ceux fabriqués par le hongrois Ikarus ont connu un grand succès et restent inoubliables.
En 1978 a débuté la production de l’Avia-Ikarus 553 sur un châssis A30 modifié. Dans la version de base, ce minibus avait une capacité de 23 passagers et dans sa version de luxe il en accueillait 19. Cette version « Lux » doit d'ailleurs être remise dans le contexte de l’époque. En gros, elle se distinguait simplement par des sièges plus confortables et grâce à une rangée en moins, elle offrait plus d’espace pour les jambes des passagers. Il s’agissait d’un minibus fonctionnel, optimal pour l’exécution des missions de transport dans le monde socialiste. Le gros point négatif, cependant, était un aspect cubique sans compromis. Si ce minibus était correct à conduire, il était presque impossible à regarder !
Une amélioration partielle dans ce domaine a été apportée en 1981 avec le nouvel Avia-Ikarus 543. Ce dernier avait une carrosserie beaucoup plus moderne. Plus tard, le châssis A31 a été utilisé, ce qui a entraîné une nouvelle modernisation de la carrosserie et du pare-brise, qui est devenu monobloc au lieu des deux parties employées jusqu’alors. La production totale du minibus Avia-Ikarus 553 jusqu’en 1981 fut de 1,145 exemplaires et celle de l’Avia - Ikarus 543 entre 1981 et 1992 de seulement 179 unités (en outre, quelques exemplaires désignés comme Ikarus 543 ont été produits sur des châssis plus longs fournis par d’autres usines qui n’avaient rien à voir avec Avia).
La Bulgarie a également utilisé le châssis de l’Avia A31 pour son minibus Cavdar LC-51, qui a également été livré à la Tchécoslovaquie. Sa capacité de transport était comparable à celle des minibus Ikarus mentionnés ci-dessus et, grâce à son espace intérieur plus grand, il était plus adapté aux longs trajets.
Pour conclure, il faut aussi évoquer ces fabricants qui ont utilisés une mécanique Avia. En 1987, on pouvait encore trouver la Yougoslavie sur les cartes d’Europe. A Zagreb, en Croatie, il y avait l’usine TAZ (Tvornica Autobusa Zagreb), où d'innombrables projets de bus ont vu le jour, dont certains ont été réalisés en série. Cette année-là, les ouvriers de TAZ ont réalisé les prototypes d’une ambulance et d’un minibus sur le châssis de l’Avia A21. Il n’y a probablement eu que deux prototypes d’ambulances qui ont d’ailleurs tous les deux ont fini en Tchécoslovaquie. Le minibus a fait l’objet d’une petite série et plusieurs ont été également testés dans le pays d’origine de leur châssis. Le projet de TAZ Neretva a été stoppé par l’avènement de nouveaux systèmes politico-économiques dans les anciens États socialistes de l'Europe de l’est et l'éclatement de la Yougoslavie, accompagné de sanglantes guerres civiles.
P.S. : Et pour l'anecdote, sachez que « Aviatik » était le surnom donné au conducteur de l’Avia par les autres usagers de la route !
Lu sur : https://www.idnes.cz/auto/historie/renault-saviem-avia-a15-a20-a21-a30-a31.A160519_123202_auto_ojetiny_erp
Adaptation VG