J’ai toujours voulu conduire une Trabant. Quand je dis ça à des gens qui connaissent bien les Trabant, ils me jettent le même genre de regard que si j’avais dit : « J’ai toujours voulu savoir quel goût a la merde d’une mule ». Mais je m’en fous. Je viens de vivre ma première expérience de conduite de cette métaphore de sandwich à la merde de mule et je ne pourrais pas être plus ravi.
Il est facile - remarquablement facile - de se moquer d’une Trabant. Objectivement, elle est terrible dans à peu près tous les domaines quantifiables. Mais la regarder de cette façon n'est tout simplement pas lui rendre justice. La Trabant, à sa manière - très spécifique - est un triomphe. Ce qui en fait un triomphe est le fait que cette voiture est à l'exact opposé d'une Bugatti Veyron.
La Bugatti Veyron est une voiture créée pour être une merveille technique, et absolument toutes les ressources et tous les avantages que la puissance du Groupe Volkswagen pouvait mettre dans la voiture étaient disponibles. Il n'y avait aucune limite et, au final, on a créé une voiture remarquable même si elle coûte des millions de dollars et que presque personne ne la possède ou ne la conduise.
La Trabant est tout le contraire. Le gouvernement Est-allemand n'avait rien. Aucun plan, aucune ressource, juste une vieille usine DKW désaffectée et l'idée générale que le peuple Est-allemand avait besoin d'une voiture qu'il pourrait se permettre d’acheter. A part cela, il n’y avait que dalle.
La Trabant est le triomphe de la fabrication de quelque chose à partir de rien. On n'avait même pas assez d'acier pour la carrosserie alors, pour résoudre ce problème, les ingénieurs de la Trabant ont développé ce qui était la première application à grande échelle du recyclage : ils ont pris les déchets de coton de l'Union soviétique (lire les vieux caleçons de Brejnev !) et de la résine phénolique provenant des teintureries industrielles et les ont utilisés pour créer le Duroplast, ce matériau ressemblant à de la fibre de verre dont étaient faites les carrosseries de Trabant. Si vous regardez ce matériau sans peinture, il ressemble en quelque sorte à de la feutrine. Il y a un peu de cela. Et parfois, les cochons le mangeaient !
C'est ce genre d'esprit imperturbable qui fait que je respecte tellement la Trabant. Tout dans cette voiture est incroyablement pesé pour faire plus avec moins. Le moteur à deux temps a peut-être cinq pièces mobiles. Le réservoir d'essence est placé aussi haut que possible, et le carburateur aussi bas qu'on puisse l'installer, car il n'y a pas de pompe à essence ; tout est alimenté par gravité.
Les personnes à l'origine de la Trabant n'avaient donc pas de matériaux, presque pas de ressources financières et, surtout, quasi aucun soutien du Politburo Est-allemand. Lorsqu'ils ont commencé à construire la Trabant P70 - la première voiture en duroplast - elle fonctionnait bien, mais avait un châssis en bois parce que les ingénieurs ne savaient pas comment fixer au mieux les panneaux de Duroplast sur l'acier ! Pour le parti communiste au pouvoir, c'était suffisant. Ces membres conduisaient des Volga soviétiques et des Tatras tchèques décentes et ils ne se souciaient guère de ce que les petites gens conduisaient !
Les ingénieurs, par contre, en avaient quelque chose à foutre, et ils ont conçu en secret la Trabant P50 à structure monocoque en acier (recouverte de panneaux de carrosserie en duroplast), et ont pu la mettre en production simplement parce qu'ils n'en ont parlé aux chefs communistes que lorsqu'elle était terminée. Ils n'avaient rien pour eux mais ils ont quand même réussi à faire une voiture qui fait à peu près tout ce qu'on peut demander à une voiture, et ils en ont construit des millions. C'est impressionnant, et si vous ne pouvez pas comprendre ça, alors allez lire des articles sur une supercar que vous ne posséderez jamais ou que vous ne verrez jamais en dehors d'un garage climatisé, dans la revue Robb Report ou une autre merde du genre.
Voilà, c’est peut-être une longue introduction pour mon petit compte-rendu de l’essai de la Trabant, mais je pense que c'est nécessaire parce que la Trabi n'est pas quelque chose que l'on peut vraiment comprendre hors de son contexte.
Si j'ai pu conduire une Trabant, c'est parce que l'étonnant Musée International de l'Espionnage (International Spy Museum) de Washington organise chaque année une Parade de Trabant. C'est le plus grand rassemblement de voiture de ce type en Amérique du Nord, et c'est là que j'ai rencontré Matthew Annen, le fils de l'homme qui possède plus de Trabant (et fondateur de TrabantUSA) que n'importe qui d'autre en Amérique.
J'ai diffusé l'intégralité de mon essai en Trabant sur Facebook, alors si vous voulez voir ce dont je parle dans une vidéo qui a été tournée à l’envers (ce que je ne comprends pas), [alors allez voir dans l’article original]. Cette vidéo dure 30 minutes ! Mais si vous préférez le texte aux images animées, vous trouverez ci-dessous mes impressions.
Matt est un type formidable. Dans la tradition des types formidables, il m'a laissé conduire sa voiture. C'est l'une des Trabant qu'il a amenée à la parade avec son père : une Trabant Estate bleue de 1981 qui a été sauvée d'un champ au Royaume-Uni et expédiée aux États-Unis. Elle n'est pas vraiment en état concours : d'ailleurs quand je suis arrivé, la charnière du hayon arrière venait de casser, il était donc entièrement démonté.
C'était donc une Trabi plutôt rude, mais cela ne me dérangeait pas, car je me disais que de nombreuses Trabant étaient probablement dans le même état que celle-ci à leur apogée. Pour une Trabant neuve, il y avait une liste d'attente de 10 ans donc les gens avaient tendance à garder leur voiture pour toujours et je suis sûr que beaucoup ont fini dans un état comme celui-ci.
Les caractéristiques ? Bon, parlons technique, ce qui est une bonne chose car les Trabant sont assez intéressantes, techniquement parlant.
En fait, la Trabant étaient déjà assez avancée lorsqu’elle a été conçue en 1957 : elle a un moteur transversal avec la boîte de vitesses sur le côté, comme à peu près toutes les tractions avant modernes fabriquées aujourd'hui. Gardez à l'esprit que c'était avant que la Mini ne vienne défendre les moteurs transversaux et la traction avant et que, face à la Mini, la Trabi ressemblait encore plus à une voiture moderne parce qu'elle n’avait pas sa boîte de vitesses dans le carter d'huile !
Bien sûr, aussi avancé que soit son implantation, le moteur était un bicylindre en ligne à deux temps, refroidi par air, dérivé du moteur DKW. Au départ, il s'agissait d'un moteur de 500 cm3 développant 18 ch avant de devenir une bête de 600 cm3 développant 26 ch. Cela semble peu, et c'est le cas, mais il faut se rappeler que la voiture ne pèse que 725 kg. Il y a des ressorts à lames transversaux à l'avant et à l'arrière, des bobines d'allumage séparées par cylindre et, en général, tout est conçu pour une durabilité et une simplicité extrême.
Une (autre) chose bizarre à propos de la Trabant : le moteur porte une petite protection. Je n'ai pas réussi à trouver une bonne raison pour laquelle le bloc moteur porte un drôle de petit manteau en cuir - peut-être pour protéger le capot en duroplast de la chaleur ? C'est étrange. Il n'y a pratiquement aucune entrée d'air vers le moteur, juste deux petits trous pour l'air frais de l'habitacle et pour le carburateur, mais je suppose que l'air pour le refroidissement du moteur est simplement aspiré par en-dessous. Entre ça et la protection du moteur, c'est peut-être le seul moteur que je n’ai jamais vu qui a l'air d'avoir été conçu pour rester au chaud et pas au frais !
Et à quoi ressemble-t-elle ? J'aime beaucoup le look de la Trabant, mais cela ne veut pas dire qu'elle est vraiment très belle. Elle a un charme indéniable et désuet, c'est certain. J'ai l'impression que les concepteurs voulaient vraiment faire quelque chose qui ressemble à une « vraie » voiture, ils ont donc opté pour un design tricorps assez conventionnel qui correspondait à ce qui se faisait à l'époque.
Je pense que les premières Trabant étaient un peu plus attrayantes, avec leur capot avant sans calandre. Elles ont un peu le look d'une VW Type III ou peut-être d'une BMW 700. Le modèle 601, apparu plus tard, a ajouté une grande et fausse calandre sur toute la largeur qui donne à la voiture une allure un peu plus conventionnelle. Et je préfère l'allure de shooting-brake de la version Estate, comme celle que j'ai conduite. Je pense que c'est une belle petite voiture, à sa façon.
Il est également intéressant de noter que les couleurs dans lesquelles les Trabant étaient disponibles sont très étranges. J'ai beaucoup entendu parler du « vert caca d'oie » et il y en avait des bicolores avec un toit de couleur contrastée.
L'intérieur de la Trabant ressemble beaucoup au reste de la voiture : on peut dire que cette chose a été construite dont le principal objectif était de tirer sur les matériaux et de garder les choses simples et bon marché plutôt que d'avoir un réel confort ou style. Cela dit, les ingénieurs n'ont pas fait un si mauvais travail. Les plastiques sont étranges et nous sont étrangers, si vous voyez ce que je veux dire. Il y a juste des choses subtiles à leur sujet - le toucher, l'odeur, le son - qui, d'une certaine manière, sont tous des produits du Pacte de Varsovie.
La gestion de l'espace n'est pas terrible et dans le break, et ce n’est pas grand non plus. C'est pourquoi il est si remarquable que des gens aient pu sortir clandestinement de Berlin-Est à bord de ce machin. Où se cachaient-ils ? On m'a dit que beaucoup se cachaient dans le compartiment moteur, pliés en deux sur le bloc et tassés au-dessus de la boîte. Cela ressemble à l'enfer, mais cela donne aussi à ce manteau une nouvelle fonction, éviter les brulures. Le musée avait installé des boîtes qui imitaient l'espace disponible dans le compartiment moteur, et j'ai tout juste pu m'y glisser ! Mais ce n'était pas drôle.
Ok, passons à la partie amusante. J'ai vraiment aimé conduire une Trabant, mais mes critères de plaisir sont très différents de ceux de la plupart des gens. Par exemple, je considère que le fait d'être complètement déconcerté est un plus. Et la partie la plus déconcertante de la conduite d'une Trabi est, de loin, son levier de vitesses.
Le levier de vitesses est cette étrange poignée coudée à 90° qui sort du tableau de bord. Si vous n'avez jamais conduit une Trabi, il est extrêmement difficile de comprendre son schéma de fonctionnement - encore plus que sur une voiture avec un levier de vitesse inhabituel, comme une Citroën 2CV. Au moins, la 2CV a une grille en H orienté normalement. Le Trabant a une grille en en H, mais elle est inversée, tournée à 90° et verticale !
Même si vous êtes à l'aise avec une 3-on-the-tree (un terme qui désigne traditionnellement une boîte 3 vitesses avec commande au volant), ce qui est mon cas, j'ai trouvé que cette chose ressemblait à ce que M. C. Escher aurait pu dessiner s'il avait eu assez de champignons hallucinogènes à portée de main. Il n’y a qu’à voir le diagramme expliquant les changements de vitesses dans la notice d’utilisation de la Trabant pour s'en convaincre. Et même une fois que vous avez accepté que 0 est N, cette chose est toujours comme donner un Rubik's cube à votre chien.
Il n'y a pas non plus beaucoup de sensation dans le levier de vitesses, il est donc difficile de dire si vous avez poussé assez loin pour la 1ère, mais pas trop loin pour être en marche arrière tout en étant suffisant loin pour ne pas être en 3ème. Les changements de vitesse sont étranges et inattendus pour quelqu'un qui est habitué à un levier de vitesse au plancher. J'ai eu beaucoup de plaisir à essayer de les comprendre, mais il faut vraiment s'y habituer.
Il est également important de choisir le bon rapport, car l'accélération de ce véhicule se mesure probablement mieux en regardant un gâteau lever dans le four. On n'a pas nécessairement l'impression d'être lent, probablement parce que la Trabant est légère, mais je me suis fait dépasser au moins une fois par un gars sur un scooter chinois ! C'était en partie à cause de mes changements de vitesses amateur, mais pas entièrement.
La voiture fait ce bruit distinctif de deux temps et les nuages d'échappement bleus l'accompagnent. Vous êtes conscient d'être dans un engin bruyant et sale, tout le temps.
Elle est si légère, cependant, qu'elle est agile à conduire, et malgré sa conception archaïque, elle n'est pas si terrible à conduire - une Trabant a passé le fameux test de l'élan qui a fait tant de mal à la Mercedes-Benz Classe A, par exemple. Malgré tout, il est vraiment très amusant, à la manière d'un karting, de se promener dans cette voiture. Je suis sûr que vous pourriez penser différemment si c'était votre seul moyen de locomotion, mais dans mon contexte très différent, j'ai vraiment apprécié.
Je ne vais pas trop m'étendre sur la qualité de construction générale de la voiture, car celle que j'ai conduite était dans un tel état que je ne peux pas vraiment juger. Mais ce que je peux dire, c'est que cette petite voiture était encore en état de marche alors qu'elle n'a jamais été dorlotée ou choyée de toute sa vie. Bien sûr, les écarts entre les différents panneaux de carrosserie sont importants, peut-être que les boutons du tableau de bord se sont désintégrés dans vos mains, peut-être que le hayon arrière s'est détaché, peut-être que des années et des années d'utilisation ont usé le métal de la pédale d'accélérateur en forme de cuillère. Peut-être que tout cela est vrai. Mais cela n'a pas d'importance, car rien ne semble pourvoir l'arrêter.
Lorsque le Mur est tombé et que les Allemands de l'Est ont enfin pu acheter des voitures plus récentes et de meilleure qualité, les Trabant encore en état de marche ont été abandonnées en masse. Les Trabant n’ont pas disparu parce qu’elles étaient usées, elles ont été délibérément abandonnées. C'est pour cela que je ne suis pas tout à fait sûr qu'elles puissent mourir.
Celle que j'ai conduite avait besoin d'un remplacement de distributeur, auquel on accède par l'arrière de la roue avant droite, juste à l'extrémité du volant moteur. La réparation a pris quelques minutes et n'a nécessité qu'un tournevis. Toute la voiture est conçue comme ça. La Trabant est peut-être une voiture lente, sale, bruyante et pitoyable, mais elle ne va pas s'arrêter de rouler juste parce que vous êtes trop nul pour la réparer. Elle va démarrer et rouler à chaque fois que vous tournerez la clé de contact (montée de manière improbable sous la colonne de direction). La Trabi ne renoncera jamais.
Oui, je suis un peu amoureux de la Trabant. Je suis amoureux de cette petite relique profondément imparfaite de la Guerre Froide, une petite bête née de la pénurie à qui, d’une manière ou d’une autre, on n’a jamais dit de quitter la scène. J'ai la chance de n'avoir jamais eu à connaître la société où c'était le mieux que vous pouviez acheter. Mais je peux respecter cette voiture pour avoir fait du mieux qu'elle pouvait.
Lu sur : https://jalopnik.com/the-trabant-is-the-best-commie-car-made-of-cotton-weve-1788844883
Adaptation VG