
L'histoire de ma famille et des voitures de l'Est commence en 1974. J'avais alors 19 ans, et dans un grand élan d'optimisme avait détruit la Toyota familiale. Il faut dire que mes parents avaient déjà une propension à rouler « original », puisque leur première voiture (achetée neuve en 1954) était une Lloyd (petite traction avant à moteur deux cylindres deux temps et carrosserie à structure de bois tendue de cuir - si ça n `a pas un relent de Trabant, même si à ma connaissance les deux voitures n'ont aucun lien de parenté), et après une Fiat 600 (quelle banalité), ils avaient roulé de 1960 à 1972 dans une DKW Junior (DKW étant la cousine germaine de la Wartburg).
Vu que ma rage destructrice sur la Toyota 1000 tombait à un mauvais moment, la « shopping list », comme on ne disait pas encore à l'époque était courte et comportait entre autres la Skoda S100, la Lada 1200 et la Wartburg W353. Rendez-vous furent pris pour un essai de ces différentes voitures (époque bénie où les garagistes se déplaçaient à votre domicile).
Vu que je reviendrai un jour sur les Lada et Wartburg que j'ai conduites, passons d'emblée à la Skoda. Le vendeur était venu en S110L et très honnête proposa de revenir avec une S100, malgré tout moins performante. Et voilà notre petite famille embarquée pour un premier galop d'essai en Skoda.
Contact, démarreur, et là première surprise : une tornade se déchaîne derrière nous (là où se trouve le moteur) : un vrai Tupolev au décollage. Un coup d'oeil sur le capot nous fournira l'explication : le radiateur d'eau est collé à la cloison entre le compartiment moteur et l'habitacle, et est flanqué d'un ventilateur qui a tout d'une turbine. L'essai (et le prix !!) se révélant concluant, mon père passa commande d'une superbe (oh le mauvais jeu de mot) Skoda S100 jaune canari. Une bonne semaine après, nous prenions livraison de la voiture : à l'époque l'importateur belge « Skoda Motors » importait une fois par an un lot de voitures qu'il stockait à Bruxelles et livrait toutes ses voitures de stock (les options étaient inexistantes).
La voiture était correctement préparée et bien assemblée pour l'époque. Le bruit restait aussi «fantastique » (une Citroën Dyane semblait silencieuse en comparaison). Et nous voici pour une première ballade. Les prescriptions de rodage étaient strictes (c'était normal à l'époque) : 1ère à 20 km/h, 2ème à 40, 3ème à 60 et 4ème à 80. Manifestement la boite (munie d'une très longue tringlerie) avait également besoin d'un bon rodage, la 1ère se montrant souvent récalcitrante (bien que synchronisée).
Première surprise : après quelques dizaines de kilomètres, les accessoires électriques (ventilation, phares, etc.) cessent de fonctionner les uns après les autres. Un coup d'oeil sous les capots nous permettra de constater que les cosses électriques ne tiennent pas en place et que les fils pendent bêtement. Une pince plate suffira pour resserrer toutes les cosses, et l'électricité ne nous lâchera plus jamais.
Le vendeur nous avait mis en garde contre le barillet de serrure (seule la porte conducteur possédait une serrure : bonjour la galanterie) et recommandait de ne jamais verrouiller le déflecteur de la vitre avant afin, le cas échéant de pouvoir utiliser ce passage pour empoigner la poignée de porte intérieure et ouvrir la porte si le barillet de la serrure se coinçait. Il avait raison le bougre, ce nous fut utile.
La technique et la mécanique réservaient des surprises : c'est à ma connaissance le seul moteur à avoir un bloc en alliage léger, et une culasse en fonte. Il paraît que les ingénieurs n'avaient plus de budget pour développer une culasse en aluminium quand ils ont créé le moteur de la MB. Le chauffage, très rudimentaire et à la soufflerie très bruyante était terriblement efficace. Les essuies-glace méritaient de changer les balais d'origine (le caoutchouc tchèque était de très mauvaise qualité) et possédait 1 vitesse continue et 3 vitesses intermittentes. Je n'ai jamais compris la logique.
L'éclairage (phares à iode) était de toute première qualité (sur les 110LS et 110R, il y avait en plus 2 phares longue-portée). La tenue de route était plutôt bonne pour une tout-à-l'arrière. La recette était la même que pour les VW, Simca 1000 et autres R8 : rentrer dans le virage à une vitesse suffisamment lente pour prendre tout le virage en accélération. Attention : ne jamais freiner en virage, à moins d'être capable de contre-braquer très rapidement (avec un grand volant très horizontal !). La voiture était particulièrement stable en ligne droite pour sa conception (tout-à-l'arrière et essieu arrière pendulaire entraînant autant des modifications de voie que de carrossage). Mais c'est surtout dans les conditions les plus difficiles que cette voiture se révélait exceptionnelle : sous la pluie, sur la neige ou le verglas, elle continuait imperturbablement d'avancer. J'ai encore en mémoire quelques franchissement en force de petites congères.
Cette voiture resta particulièrement attachante pendant les plus ou moins deux années que nous l'avons possédée. A mon souvenir, elle n'est jamais vraiment tombée en panne, ce qui restait exceptionnel dans les années 70. Elle a toujours démarré, en été comme en hiver. De plus, elle cachait beaucoup de côtés pratiques : tout d'abord, elle était fournie avec une trousse d'outils particulièrement complète (même si Lada faisait encore mieux sur ce plan), et un manuel du propriétaire permettant de réaliser soi-même beaucoup de travaux d'entretien. Le petit 1000 de 42 chevaux permettait de s'intégrer dans la circulation de l'époque, et la tranquillité tant du moteur que des passagers suggérait une vitesse de croisière de 100 à 110 km/h, mais on était à l'époque des premières limitations de vitesse généralisées.
Néanmoins, j'ai plus d'une fois envoyé le compteur aux environs des 150 km/h alors que le maxi officiel était de 125 km/h. Si le coffre avant n'était pas bien spacieux, la voiture cachait un second coffre à bagages situé entre le compartiment moteur et la banquette arrière. Et c'est à ce niveau que la position du radiateur de refroidissement et sa turbine se révélait bien placés : à une époque ou ni l'airco, ni les boites frigo n'existaient, placer son pic-nic à cet endroit permettait de la garder frais pendant plusieurs heures. De plus, la banquette arrière était entièrement rabattable (assise et dossiers) et fractionnée dès le plus bas de la gamme en 2 parties égale. De quoi aménager une plate forme de chargement accessible par les portes arrières. Sous les assises de la banquette arrière, on trouvait deux drôles de petites barres rotatives qui permettaient d'incliner légèrement l'arrière de ces assises afin de créer une sorte d'oreiller si on voulait exploiter au mieux les sièges couchettes (d'origine dès le modèle de base).
Malheureusement, cette voiture fut détruite dans un accident (cette fois, je n'avais rien à voir dans l'affaire) après deux ans et 60.000 km de bons et loyaux services. Le dernier service qu'elle rendit fut de protéger efficacement ses occupants lors d'un choc arrière très violent. L'énorme poutre qui forme l'arrière du berceau moteur joua un rôle protecteur certain avant que le moteur ne s'encastre à travers l'embrayage dans la boite de vitesses.
Elle sera remplacée par une 110 LS de direction qui nous apporta beaucoup de soucis. Malheureusement, nous ignorions que la voiture avait été utilisée par un membre tchèque de la direction de l'importateur et avait été « trafiquée » à l'usine. Au lieu des 52 ch d'origine, elle en développait +/- 70, mais consommait allègrement ses 12 à 14 litres au 100, alors que la S100 restait entre 7 et 8 litres. En tentant de remédier au problème de consommation, le garagiste (ignorant les modifications apportées à la voiture) ne réussit jamais à la faire fonctionner correctement.
Mon père la remplaça rapidement par une VW Polo, tandis que j'utilisais successivement une des dernières 1100 MB produites, une 110 LS et une 105 L. Mais j'y reviendrai dès que possible.
Amicalement et à bientôt pour la suite,
Alain