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De nos jours, les historiens et les passionnés épluchent l’histoire de l’industrie automobile soviétique s’intéressant aux plus petits fragments. Tout semble connu, voire un peu plus, de nombreux livres sont publiés et les participants à des forums sur internet se disputent sur les variantes de portières de ZAZ-968M et les différentes moulures chromées des Moskvitch-2140 SL. Souvent on a l’impression d’avoir fait le tour du sujet et pourtant… Il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir !

Par exemple, connaissiez-vous la Velar, qui a été créée (enfin le projet n’a pas été mené jusqu’au bout) dans les années 90 par d’anciens designers et ingénieurs d’AZLK qui avaient quitté l’entreprise pour se lancer dans l’entrepreneuriat privé.

En 1988-89, les prémices de la crise à venir avaient commencé à se faire sentir chez AZLK. Vu de l’extérieur tout allait bien : on venait de lancer la berline cinq portes traction avant Moskvitch-2141 et on prévoyait d’ajouter à la gamme une berline à coffre, un break et peut-être même la transmission intégrale. De nouveaux moteurs avaient été développés et le centre de style débordait de maquettes de nouveaux modèles : minivans, berlines, coupés.

Mais on manquait de financements pour étendre la gamme 2141 et il n’était pas prévu d’en avoir. La construction d’un atelier de fabrication de moteurs, attenant à l’usine, tournait à l’enfer, l’argent du prêt accordé par la Vnesheconombank ayant servi à couvrir les besoins courants ou ayant été dilapidé dans des dessous de table.

En 1992 Valentin Kolomnikov, le dernier « vrai » directeur d'AZLK, est mort dans son bureau d'une rupture d'anévrisme. C’était la dernière personne qui aurait pu trouver une solution pour financer de nouvelles versions de la 2141 et pour achever la construction de l’usine moteur. Iouri Borodine, celui qui a pris sa suite, n’a pas réussi à remplacer le « directeur rouge » et en quatre ans il a mené l’entreprise quasiment à la faillite avec une dette de 1,000 milliards de roubles (au cours de l’époque). AZLK se rapprochait de plus en plus de son apocalypse.

Au début des années 1990, les anciens d’AZLK ont commencé à quitter l’usine. Ce n’était pas des départs massifs, mais ils étaient suffisamment nombreux à démissionner pour que cela se remarque. Ce fut le cas du designer Victor Andronov (le fils d’Alexandre Andronov, le responsable du style de MZMA/AZLK de 1951 à 1972), l’aérodynamicien Sergueï Bartenev, les designers Sergueï Ivakine (auteur du concept-car Istra), Marat Elbaev et Vladimir Viadro, le spécialiste des systèmes d’information Alexandre Pakcha et des ingénieurs comme Vladimir Iakovlev, Leonid Leonov et Viacheslav Grymov (père du célèbre réalisateur Iouri Grymov).

Tous se sont rassemblés, animés par une idée un peu folle : « Pourquoi ne pas construire notre propre voiture ? » Ils formaient le noyau d’une petite coopérative, située dans l’enceinte même de l’usine AZLK, qui à l'origine s’occupait de l’élaboration de pièces « tuning » pour les Moskvitch. Dans les faits, ils avaient donc quitté l’usine sans vraiment la quitter. Ils utilisaient même les machines de moulage sous-vide de l’usine et d’autres équipements permettant de travailler le plastique. Mais cette activité tuning n’était pas rentable et n’a pas duré longtemps. C'est alors qu'ils ont décidé de construire leur propre voiture. C’était en 1990.

Viacheslav Grymov était l’idéologue du projet. L’idée était aussi simple qu’aventureuse : fabriquer ce que le marché domestique ne propose pas, un coupé sportif à moteur central. D’ailleurs pas un coupé mais un roadster à toit targa ce qui était vraiment très exotique ! Et si possible avec une mécanique russe. En quelque sorte la Ferrari Mondial ou la Porsche 914 russe. Ils choisirent un nom neutre mais harmonieux : Velar. Ce nom, abréviation de « VELikolepniï Avtomobil Rossii » (« Magnifique Voiture Russe) a été imaginé par Sergueï Bartenev bien avant Land Rover.

Comme moteur, ils voulaient utiliser le UZAM-3320, la version à injection du classique moteur 2 litres de la Moskvitch. Celui-ci développait 100 chevaux et avec une petite préparation on pouvait en tirer de 115 à 120 chevaux. L’Usine de Moteurs d’Oufa espérait à l’époque pouvoir produire en série ce bloc UZAM-3320 qui semblait prometteur. L’alternative pouvait être le moteur Renault F3R, un 2 litres également, qui été plusieurs années plus tard monté sur les Moskvitch de série.

On prévoyait deux versions de transmission : traction avant et quatre roues motrices. Cette dernière a d’ailleurs bien vu le jour et les travaux ont été utiles aux ingénieurs de Moskvitch qui s’étaient également lancés dans la transmission 4x4. La conception strictement longitudinale, rarement utilisée sur les modèles à traction avant, simplifiait à bien des égards la conversion à la transmission intégrale. Et comme le disaient ses créateurs, le moteur pourrait facilement passer en position transversale si les essais montrent une mauvaise répartition des masses ou des problèmes de stabilité.  

Les suspensions de type McPherson étaient originales : indépendantes et à bras obliques. Les principales pièces provenaient de la Moskvitch-2141 mais les bras de suspension et les ressorts étaient fait sur-mesure.

La carrosserie était classique : le châssis-cadre était recouvert de panneaux en plastique. Il s’agissait d’un travail commun de Marat Elbaev et de Sergueï Bartenev. Le premier avait dessiné les croquis et le second avait optimisé les formes pour plus de rationalité. Ils ont été rejoints plus tard par Sergueï Ivakine qui est l’auteur des dessins qui illustrent cet article.

En général, la Velar a été conçue un peu au hasard, sans trop réfléchir à un quelconque business-plan. On voulait construire un prototype, l’essayer puis trouver de l’argent pour le fabriquer et enfin trouver des clients. Si les membres du projet savaient où ils allaient, c’était seulement dans les grandes lignes. D’ailleurs c’était difficile : le produit était nouveau sur le marché et il était impossible de faire un quelconque pronostic économique. Seuls étaient calculés le coût des composants sélectionnés et estimés les ressources de production nécessaires.

Un investisseur s’est rapidement intéressé au projet - Intertap, une entreprise liée selon certaines sources à Menatep. Tous les développeurs (environ 15 personnes) sont devenus des employés d’Intertap et ont emménagé dans de nouveaux locaux. Ils ont travaillé là pendant environ un an, période durant laquelle Intertap leur versait régulièrement leur salaire, un bon salaire.

Le développement de la Velar s’est achevé avec la création de toute la documentation technique. Il était temps de construire des prototypes. Comme ce n’était plus un travail de bureaux, l’équipe s’est déplacé à Serpukhov dans un bâtiment situé près de l’usine SeAZ. C’est là qu’ils ont assemblé le premier prototype avec les pièces qu’ils avaient préalablement achetés auprès de différents fournisseurs dont ZiL et NAMI.

La voiture avait été conçue pour être assemblée à la main sans utiliser des machines ou des moules complexes. Même le châssis devait être fabriqué avec une simple machine à cintrer des tubes d'acier. C’est pourquoi l’assemblage n’avait rien de difficile. Pour les panneaux de carrosserie, ils avaient même réussi à commander des moules à Riga ce qui semblait d’ailleurs assez aventureux puisque lors de la construction d’un prototype, de nombreuses modifications sont apportées à l’apparence de la voiture. Détail intéressant, l’acceptation des moules à coïncidé avec le putsch d’août 1991 et c'est juste après que le projet est parti à la dérive.

La production en série des panneaux extérieurs de carrosserie devait être confiée au bureau d’études Antonov de Kiev, qui disposait d’un très bon équipement pour la fabrication de pièces en matériaux composites. Il disposait aussi de ses propres brevets de formulation de plastiques, très efficaces et adaptés à la construction automobile. Par exemple, de ce que s’en souvient Sergueï Bartenev, le capot fabriqué à Kiev ne pesait pas plus de trois kilogrammes !

La Velar devait peser environ 800 kg pour une longueur de 4,300 mm, une largeur de 1,750 mm et un empattement aux environs de 1,100 ou 1,200 mm. Par ses dimensions, la Velar était proche de la Moskvitch et ce n’était pas une si petite voiture !

Lorsque le châssis-cage a été assemblé et que les panneaux de carrosseries ont été montés dessus, Intertap a « eu un problème » et a arrêté de financer le projet. La recherche fiévreuse d’un nouveau partenaire a commencé. Cela a, entre autres choses, conduit à relocaliser l’équipe de développement à Moscou à l’Institut NATI. L’Institut spécialisé dans le matériel agricole avait alors besoin de personnel pour développer de nouvelles cabines de tracteurs. C’est uniquement pour cela qu’ils ont engagé les anciens de chez AZLK avec leur projet Velar inachevé. C’était déjà en 1993. Le sort s’acharnait.

L’équipe n’est pas restée longtemps au NATI :  il était déjà clair que le projet Velar n’aboutirait pas et c’est pourquoi les membres de l’équipe ont commencé à se disperser. Mais Viacheslav Grymov et Sergueï Bartenev ont encore travaillé longtemps dans le secteur automobile et ont réussi à concevoir plusieurs véhicules, notamment pour l’Usine de Tcheboksary.

Après la désintégration de l’équipe de développement, il ne resta pour ainsi dire que les valeurs matérielles à l’Institut NATI, c’est-à-dire tout ce qui avait pu être fait sur le projet : une carrosserie pratiquement terminée, les parties mécaniques… Tout a été racheté par la société de transports Autoline. Pour en faire quoi ? Personne ne s’en souvient. Le fait est qu’à ce moment l’équipe projet n’existait plus et n’avait donc pas pu terminer le travail. Autoline a juste récupéré les restes, les a ramenées dans ses locaux de Kountsëvo et c’est là que l’on a perdu la trace de la Velar…

Aujourd’hui ceux qui ont participé à ce projet s’en souviennent encore avec ironie. C’était l’époque où de nouvelles sociétés se créaient partout dans le pays, on trouvait l’argent comme par magie et il semblait qu’une seule impulsion suffisait…

Il est maintenant clair que sans une bonne base de production et sans tests approfondis, la Velar ne pouvait pas connaître le succès. Aucun investisseur occasionnel n’a jamais pu sortir un produit automobile sérieux car ce sont des investissements longs et peu rentables. Pour un produit de niche, le ticket d’entrée est bien sûr plus faible qu’une voiture de grande série mais là aussi, il faut tirer des plans à long terme, avec de bons équipements et un personnel qualifié (et donc coûteux). Sinon, on se retrouve avec de trèss bonnes samodelki comme peuvent être qualifiés les nombreux projets de Guennadi Khainov (Astero, Jump!, etc…).

La Velar restera dans l’histoire de l’industrie automobile russe comme une curiosité du début des annés 90. N’en subsistent que les photos amateurs faites par Victor Andronov à Serpoukhov et qui illustrent ce passionnant article.

Pour les quinze anciens d’AZLK qui ont consacré trois ans de leur vie à ce projet, la Velar est la première ou l’une des premières tentatives de créer un nouveau constructeur en Russie en partant pratiquement de zéro.

Lu sur : https://www.drom.ru/info/misc/61130.html
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #Projet, #Russie, #Velar