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La Trabant a 60 ans. L’auteur de cet article se souvient des Trabis, de l’amour et de la passion de son père et des difficultés qu’il avait à faire démarrer cet engin têtu le matin.

Quand 28 ans après la fin de la RDA, je vois une Trabant rouler vers moi avec une peinture criarde, comme une femme qui pense pouvoir dissimuler ses nombreuses rides avec beaucoup de maquillage, et brillante comme jamais elle n’aurait pu briller par manque de la peinture adéquate, quand j’aperçois ses grands yeux ronds, quand j’entends le bruit unique qui s'échappe de son minuscule moteur de 600 cm3, je m’arrête de marcher et je retourne sur elle. Car la Trabant me touche.

C’est une partie de moi. La Trabant était quelque chose comme la Volkswagen de la RDA, elle était désirée, elle était respectée. Pourtant ce « Ohhh, regarde une Trabi » qu’ont aujourd’hui les habitants de l’Allemagne réunifiée en la voyant et qui sonne approximativement comme un « Ohhh, regardez cet adorable petit chien » était loin d’être de mise à son époque.

Mes sentiments pour la Trabant sont beaucoup plus jeunes que la voiture elle-même. Ils datent de la réunification moins les deux à trois ans après la chute du Mur. Moins ces années où tout ce qui venait de l’Est était devenu du jour au lendemain sans valeur, y compris la Trabant. Tout ce qui était vieux partait à la poubelle. On jetait tout, même la Trabant... Elle terminait sur un tas de compost parce que c’était une voiture en carton… et on la remplaçait par une Opel.

Tout aussi vite que les Allemands de l’Est, les Allemands de l’Ouest se sont lassés des Trabant. Ceux qui s’étaient exclamés « Regardez, c’est une Trabi » à l’arrivée des premières Trabant en RFA se plaignaient désormais de migraines, d’insomnies et d’autres indispositions. C’était la faute de la Trabant. Avec son bruit assourdissant et ses fumées d’échappement. Elle puait.

Repoussée par les uns, dédaignée par les autres. Et même si elle avait été construite à Zwickau jusqu’en 1991, cela faisait déjà de nombreuses années qu’elle était moribonde et personne ne la regrettait. Moi la première.

Ma propre histoire de Trabant était si fraîche que j’avais facilement pu la rejeter moi aussi, jusqu’à l’oublier. Aujourd’hui c’est différent. La Trabant est devenue rare. Elle est devenue une voiture d’hipster. Celui qui la conduit aujourd’hui n’a pas honte. Et c’est pourquoi ceux qui roulaient autrefois en Trabant ne doivent pas non plus avoir honte. Même quand ils n'étaient que de simples passagers.

Mon histoire avec la Trabant commence à 6h30 du matin. Quand mon père partait pour travailler et qu’il démarrait sa Trabant devant la maison. Cela me réveillait.

Ra-tata tatatatatata.

[pause]

Ra-tata tatatatatata.

[re-pause]

Ra tatatatatatatatata.

[une pause encore plus longue]

Ra tatatatatatatatata.

Une courte pause suivie d’une dernière tentative hystérique. Ra-tata, Ra-tata, Ra-tata, puis un claquement de porte, le capot qui s’ouvre, qui se referme, des jurons, le capot qui s’ouvre et se referme de nouveau. De nouveaux jurons… Pendant ce temps-là, je me réveillais de plus en plus. Non pas parce que les tentatives désespérées de mon père pour faire démarrer sa Trabant étaient insupportablement bruyantes mais parce que j’avais hâte que le moteur démarre enfin, comme on a hâte de connaître la fin d’un film captivant.

Pour lutter contre la tension qui montait en moi lors de ces tentatives infructueuses, j’avais développé une sorte de truc avec lequel je pensais aider mon père. Je dirigeais toute mes pensées vers la clé de contact qu’il faisait tourner dans la serrure avec plus de colère. Je me concentrais pour lancer ce truc au bon moment et comme la Trabant elle-même, j’avais souvent besoin de plusieurs tentatives jusqu’à ce que cela fonctionne. C’était de la magie pure !

Avec mon aide le moteur démarrait et mon père partait, la Trabant pétaradait, pétaradait de plus en plus loin et dans un demi-sommeil, je voyais devant moi ce duo heureux, mon père dans sa trop petite voiture. Je revoyais cette image où la voiture laissait échapper derrière elle un nuage bleu quand il donnait un petit coup d’accélérateur à laquelle s’ajoutait la fumée de sa cigarette, soufflée à travers la fenêtre à moitié abaissée. C’était un homme heureux pour qui la voiture signifiait la liberté… Puis je me rendormais à nouveau.

La liberté coûtait pourtant beaucoup de temps libre. Car la nature de la Trabant n’était pas seulement d’avoir du mal à démarrer. Elle tombait souvent en panne. C’est pourquoi, durant son temps libre, mon père était souvent sous la voiture ou fourré sous le capot pour réparer des choses qui tombaient continuellement en panne.

Il me faut aussi mentionner les longs trajets en Trabant. Parfois nous allions en Saxe en été, mais je n’ai pas un seul souvenir positif de ces vacances. Nos voyages se faisaient à l’étroit, glacés en hiver, mourants de chaud en été, bruyants à n’importe quel moment de l’année et à cause de l’odeur du mélange de deux temps, les sens de tous les passagers étaient mis à dure épreuve.

A 16 ans, j’ai échappé à ces voyages en commençant à faire de l’auto-stop. J’ai découvert le monde, j’ai rencontré les gens les plus divers au volant des voitures les plus diverses. L’auto-stop était presque toujours une partie de plaisir sauf quand un conducteur de Trabant s’arrêtait. Parce que cela signifiait que j’allais me trainer à 80 km/h de Rostock à Berlin, soit facilement quatre heures, la plupart du temps sans divertissement car on perdait rapidement l’envie de crier pour faire face au bruit du moteur.

Quand j’ai finalement été trop vieille pour voyager avec mes parents, mon plus grand rêve s’est réalisé. La Wartburg tant attendue a été livrée. Mon père avait réussi : c’était l’ultime ascension vers la classe supérieure. Et il n’a pas regretté sa Trabant.

Elle n’est plus fabriquée depuis 26 ans déjà. Les collectionneurs paient maintenant jusqu’à 20 mille euros pour un exemplaire en très bel état. Aujourd’hui la Trabant fête son 60ème anniversaire.

« Félicitations, la boîte en carton ! ».

Lu sur : https://www.welt.de/vermischtes/article170383302/Glueckwunsch-Pappkarton.html
Adaptation VG

Tag(s) : #Trabant, #Anecdote