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Venir à Togliatti dans les années 90 pour acheter une voiture neuve ne posait pas de problème. Le problème c'était de revenir avec la voiture… Mais vous pouviez aussi revenir sans, avec toutefois la satisfaction d’être encore vivant et dans l’état dans lequel vous étiez venu ! Au début des années 90, cela n’était rien de le dire mais on pouvait vous étrangler, vous tuer ou vous voler avant, durant, ou après votre achat…

A l’époque Togliatti ne donnait pas seulement l’impression d’être une ville nouvelle. Elle ressemblait aussi à un grand parking où l’on pouvait acheter des Jigouli neuves. Les entreprises qui les vendaient se comptaient par centaines, sinon par milliers. Dans tous les quartiers et où que vous regardiez, vous trouviez de grands terrains avec des voitures neuves garées jusqu’à l’horizon.

Tous les chefs d'entreprise qui vendaient ces voitures étaient des bandits invétérés et, en général, ils n'étaient pas différents les uns des autres. Vers 1994, les gens ont compris qu’ils perdaient de l’argent et prenaient beaucoup de risques et ont commencé à acheter des voitures dans leurs propres villes.

J’étais intéressé par ces VAZ-21099 sorties directes d’usine. On m’a dit : « Jusqu’à la nationale personne ne te touchera, le principal c'est de ne t’arrêter nulle part sinon tu vas te faire dévaliser en 3 minutes. Si quelqu’un dans la ville ou aux abords de Togliatti t’arrête et te demande ton argent, donne mon nom et on te laissera tranquille. Si cela ne se passe pas comme cela, rappelle-toi de la voiture et de l'immatriculation, laisses leur les clés, prends un taxi et reviens me voir, on les retrouvera et on les corrigera. Et tu pourras récupérer la voiture ».

Nous étions venus pour acheter 3 voitures. Le mécanisme de la vente était le suivant : un ouvrier achète une voiture avec une remise, avec les bandits vous allez à la GAI, le bandit l’immatricule à son nom, puis vous le revend. Elle est ensuite à vous. Il était déjà tard, nous avions déjà fait les formalités pour deux voitures, mais pour une raison inattendue cela n’avait pas marché pour la troisième...

L’ouvrier ne voulait plus entendre parler de nous ! Il devenait même grossier. Mon ami Seregea a commencé à le menacer droit dans les yeux mais légalement, nous ne pouvions rien faire… « Les gars, rentrez à l’hôtel, demain matin ce type signera n’importe quel papier » nous a dit le vendeur.

Je n’en ai pas dormi de la nuit et j’allais d’un coin à l’autre de la chambre. Je ne sais pas quelle méthode a été employée mais le lendemain quand il nous a vu, le mec a couru vers nous et nous a dit : « Les gars, excusez-moi, j’en ai discuté avec eux, nous allons tout arranger et je vais signer tous les papiers sans aucune question ». Puis il est reparti. Il a disparu quelque part… peut-être qu’il a été frappé ou poignardé !

La situation dans la ville a changé. Vous achetez une voiture, vous sortez du parking avec la jauge du réservoir proche du zéro et vous vous arrêtez à la première station-service. A l’époque, une fois les papiers terminés, vous sautiez dans la voiture après avoir rempli le réservoir avec un bidon d’essence, puis vous vous arrêtiez dans un bazar pour acheter des tapis de sol, etc… A l’époque toutes les voitures sortaient de l’usine incomplètes et souvent il manquait les relais de clignotants, d’essuie-glaces, de la pendule ou des phares. Pour ces pièces, sur les parkings, on demandait une grosse somme et il était préférable d'acheter tout cela dans un bazar chez un marchand de confiance.

Il était aussi très rentable de mettre un autoradio ou une alarme directement à Togliatti. Les gars étaient des experts et ils pouvaient installer proprement et rapidement. On arrive chez l’installateur et on fixe l’heure exacte : « Les mecs, venez exactement à 6 heures, les portes seront ouvertes pour vous ».

Après avoir récupéré la voiture et vidé le jerrycan, je quitte le parking pied au plancher, je passe tous les feux au rouge et sur boulevard extérieur au tout dernier moment je tourne à gauche dans un box et les portes se referment derrière moi. Le travail promis est vite fait. Il ne nous reste plus qu’à quitter la ville. C’était comme cela. Quand vous vous arrêtiez dans une station-service, on pouvait vous voler votre argent et c’était dangereux de laisser la voiture sans protection ne serait-ce qu’une minute. On pouvait vous la voler même si elle n’avait aucune option…

Aucun parking payant ne garantissait la protection d’une voiture neuve en transit ! Même si vous donniez beaucoup d’argent. C’est ce que disaient les gardiens de ces parkings : « Nous ne sortirons même pas de notre guérite. 3 minutes et votre voiture s’envole à 100% et personne dans la ville ne vous aidera. Prenez directement la route ! ».

Au bazar c’était pareil. Et ce n’est pas le poste de GAI jusqu’en face qui garantissait un arrêt en sécurité. J’y suis allé pour 5 minutes et quand je suis revenu, Dima était tout paniqué : « Ils se sont déjà approchés ! Ils étaient prêts à me jeter hors de la voiture, même devant les flics. On a ma failli me voler la caisse sans que personne ne regarde ! ».

Une fois j’ai acheté une Semerka. C’est Dima qui conduisait sur la route du retour. On a fait environ 50 km et la voiture s’est arrêtée. Il faisait déjà nuit. -27°C et j’ai été voir une sorte de réparateur de pneus sur le bord de la route. J’ai frappé et un mec m’a mis à l’abri. « On va t’emmener demain en Niva à ta voiture, on la remorquera et on regardera le problème ». Je n’oublierai pas cette nuit de si tôt. A l’intérieur il faisait légèrement plus chaud que dans la rue, mais je me rappelle que j’ai eu froid. Le patron est arrivé le matin. On a ramené la voiture au village. Le flotteur dans le carburateur était défectueux. Le mec me dit : « Tu as de la chance de t’être arrêté près de mon garage. Je suis un ancien caïd, tout le monde me connait, si tu t’étais arrêté un kilomètre plus loin, en une demi-heure ta voiture se serait envolée ».

Il y avait une règle. A Togliatti il ne fallait acheter que du neuf et seulement auprès d’une entreprise connue. Il y avait des types louches qui proposaient des voitures neuves pour moins cher. Ces voitures avaient une carte-grise normale, elles semblaient neuves mais étaient juste fabriquées avec des pièces défectueuses. Je connais quelqu’un qui a acheté une voiture comme cela : au bout d’un mois tout était tombé en panne dans sa voiture ! Il ne fallait jamais acheter à Togliatti ou à Samara, une voiture avec un faible kilométrage.

Quand les « Deciatka » sont arrivées, toute le monde en voulait une avec un compteur VDO, mais il n’y en avait pas à vendre sur les parkings… Mais des mécanos pouvaient le changer car les compteurs VDO étaient vendus en gros dans les bazars. Tu achètes une voiture avec un compteur en russe, tu vas au bazar où on te rachète ton compteur pour quelques kopecks et on te revend un compteur VDO que le mécanicien peut remonter. Il y avait une sorte de mouvement perpétuel avec les compteurs…

A part cela, tout allait bien à Togliatti. Cette ville me plaisait mieux que Samara. Beaucoup de jeunes, peu de feux rouges et quelques ronds-points. Le soir, la ville se transformait en discothèque avec beaucoup de cafés où de la musique  hurlait partout autour des vrombissements de moteurs de Jigoulis et les crissements de pneus !

Mais tout cela n’était intéressant que quand vous étiez à pieds. Car une fois la voiture achetée vous n’aviez plus qu’une idée en tête : quitter le plus vite possible cette ville effrayante...

Lu sur : https://www.drive2.ru/b/3142737
Adaptation VG

Tag(s) : #VAZ, #Togliatti, #Russie, #Ambiance, #Anecdote