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Dans l’histoire de nombreuses voitures soviétiques, il existe des zones d’ombre, connues seulement par quelques spécialistes. Par exemple, saviez-vous que la petite Oka avec son minuscule moteur aurait dû avoir deux « sœurs » plus puissantes que l’on prévoyait de produire dans l’ancienne usine de tracteurs d’Elabouga ? L’histoire de l’ElAZ-1121 est intéressante, instructive et en même temps un peu triste, comme la situation générale de l’industrie automobile soviétique de la fin des années 80.

Apparue à la fin de cette décennie, l’Oka avait provoqué une réaction orageuse et ambigüe chez les automobilistes soviétiques car par certaines de ses caractéristiques, elle était encore considérée comme « insuffisante ». Nombreux sont ceux qui auraient voulu que cette petite voiture soit « un tout petit peu plus grande ». Peut-être pas comme une Jigouli, mais qui pourrait au moins permettre d’aller quelque part à plus de deux personnes !

La VAZ-1111 répondait idéalement aux besoins des citadins qui n’avaient ni famille ni datcha. Pourtant bien souvent ceux-là n’avaient même pas les moyens de se payer une moto. Ceux qui avaient fait des économies depuis plusieurs années ne voulaient pas acheter une Zaporojets mais une voiture compacte, une vraie voiture ! Et il faut bien reconnaître que la voiture japonaise qui l’avait inspirée (la Daihatsu Cuore pour être précis) ne répondait pas pleinement aux attentes des automobilistes soviétiques.

Sur le papier c’était donc une quatre places, mais l’Oka n’avait pratiquement pas de coffre et avec ses roues minuscules elle ne correspondait pas bien à la réalité de son époque. Pourtant, chez VAZ tout avait été prévu lors de la conception de la VAZ-1111 et comme avec la « Vosmerka » les ingénieurs avaient préparé d’autres versions - plus puissantes et plus pratiques. Ils prévoyaient donc une famille complète de petites voitures.

De plus, initialement, il n’avait pas été prévu de produire en masse l’Oka - environ 50,000 voitures par an - alors que les spécialistes estimaient la demande annuelle pour une petite voiture compacte à 300,000 exemplaires. VAZ n’avait pas les moyens de dégager de telles capacités de production pour la « famille 11XX » et les capacités de KamAZ et de SeAZ ne correspondaient pas aux volumes prévus.

C’est pour cela que dès 1988 s’est tenue une réunion spéciale du Conseil scientifique et technique du Ministère de l’Agriculture de l’URSS où il a été décidé de réaffecter l’usine de tracteurs KamTZ de Elabouga, construite en 1984, à la production de voitures. Il n’est pas difficile d’imaginer que cette voiture devait être l’ElAZ-1121. Plus précisément, lorsqu’en 1988, le bureau d’études de VAZ a commencé à travailler sur cette nouvelle voiture, elle portait l’indice 1112. Mais c’était en quelque sorte la « voiture de l’an 2000 » et VAZ en a pratiquement immédiatement réalisé une maquette taille réelle. Et pour Elabouga, on prévoyait en premier lieu de fabriquer une « Oka améliorée » qui reçut en interne le nom de code XM-1121.

En quoi cette voiture se distinguait-elle de l’Oka ? Avant tout par son moteur : sous le capot de ce nouveau modèle on devait trouver un tout nouveau trois cylindres de 820 cm3 et 40 chevaux. Cela permettait à cette petite voiture d’être plus dynamique, ce qui n’est pas peu dire, puisque le 650 cm3 - le « demi-huitième » - de l’Oka perdait tellement de sa superbe à pleine charge que cela avait poussé les ingénieurs de VAZ à créer un nouveau « demi-huitième » basé sur le moteur VAZ-21083 et faisant donc cette fois-ci 750 cm3 !

Sinon, techniquement et pour la carrosserie, la « 1121 » n’étaient en rien différente de l’Oka et c’est pourquoi la mise en production de cette version devait être assez rapide. Là aussi, on peut encore faire l’analogie avec la Samara 1,3 à partir de laquelle VAZ avait développé des versions plus puissantes à moteur 1,5 et aussi une « Deviatka » à cinq portes.

On nourrissait encore plus d’espoir dans l’ElAZ-1125, un modèle cinq portes (!) avec une carrosserie de 3,45 mètres de long et un moteur 4 cylindres, la fameuse « 1112 ». Cette voiture aurait pu sérieusement « bousculer » la Tavria sur le marché domestique et aussi séduire des acheteurs de petites compactes à cinq portes au-delà des frontières de l’URSS, là où l’on trouvait les Opel Corsa A, Fiat Uno, Ford Fiesta, Peugeot 205, Renault Supercinq, etc…

Cependant en URSS on prit la mesure du fait qu’un projet aussi important et global ne pouvait pas être maîtrisé seul et c’est pourquoi le 21 novembre 1989 un mémorandum d’intention de production conjointe fut signé à Rome avec Fiat. Chacune des parties devaient y trouver son compte : chez VAZ on espérait pouvoir lancer dès 1993, à Elabouga, la production de l’ElAZ-1125 que l’on avait décidé de développer en commun avec Fiat sous le nom de code A-93. Pour les Italiens, cette coopération avec VAZ a finalement abouti au modèle Punto !

D’ailleurs dans cette histoire, la cerise sur le gâteau devait être… Porsche : pour la conception des nouveaux 4 cylindres de 1,1 l et 1,25 l et, comme au bon vieux temps, VAZ a pris la décision de signer un nouveau contrat avec le constructeur allemand. Les Allemands dans le cadre de ce contrat ont préparé près de vingt versions de 4 cylindres 1,1 litre ! En parallèle, VAZ on a décidé de concevoir en interne le 3 cylindres de base, type VAZ-1121. 

Extérieurement la XM-1121 se différenciait de la VAZ-1111 uniquement par ses éléments décoratifs : grille de calandre, pare-chocs et enjoliveurs. Cependant la similitude était trompeuse. Les panneaux de carrosserie avaient été modifiés car on prévoyait des vitres collées. Les outils d’emboutissage devait donc être profondément revus mais cela permettrait d’augmenter la résistance à la torsion de la carrosserie de 1,5 fois. En devenant l’ElAZ-1121, l’Oja devenait plus puissante, plus confortable et technologiquement plus aboutie.

L’Oka « améliorée » devait  également recevoir une suspension sensiblement améliorée. En particulier, le berceau arrière se rapprochait de ce qui avait été fait pour la VAZ-2108 avec un ensemble ressort-amortisseur plutôt que des éléments séparés comme sur l’Oka. C’est pourquoi en termes de confort de conduite (c’est-à-dire la combinaison entre douceur de suspension et maniabilité), la nouveauté devait se rapprocher de près de la même « Vosmerka ».  Cette dernière était d'ailleurs considérée comme le maître étalon et la référence. Il est intéressant de noter que l’expression « confort de conduite » a commencé à faire partie du vocabulaire des ingénieurs de Togliatti grâce aux ingénieurs de Porsche, avec lesquels VAZ avait étroitement collaboré dans le cadre du projet « Gamma », celui de la VAZ-2108… En d’autres termes, l’ElAZ-1121 avaient toutes les chances de devenir une voiture, certes petite, mais avec des qualités routières de premier ordre.

La seconde innovation majeure portait sur la tringlerie par câbles (!) du changement de vitesses que VAZ n’a introduit en série que 20 ans plus tard sur la Granta… Rajoutez les roues en 13 pouces à 4 goujons à la place des « roulettes » habituelles et vous aurez une voiture extérieurement identique à l’Oka, mais beaucoup plus pratique et fonctionnelle et prévue pour être fabriquée chaque année à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires.

En quatre ans, ce ne sont pas moins de 2 milliards de roubles qui ont été investis dans la construction de l’usine. On prévoyait de sortir les premiers exemplaires en série en 1991. Pour le 25ème anniversaire de VAZ, une exposition fut organisée au VDNKh de Moscou et l’une des voitures exposée était d'ailleurs une ElAZ-1121 de présérie. Mais, c’était en août 1991… Le mois où l’URSS a cessé d’exister ce qui signifiait aussi l’arrêt définitif du financement du projet au niveau de l’Etat !

Il y a encore un point important qu'il ne faut pas oublier. Bien que l’ElAZ-1121 a été conçue par VAZ pour l’usine d’Elabouga à la demande du Ministère de l’Automobile et des Transports, des problèmes pour terminer la construction de l'usine sont survenus bien avant le putsch d’août 1991. Pour une raison fort simple : l’argent. La situation économique de ce grand pays qu’était l’URSS et qui vivait sa dernière année n’était pas la meilleure qui soit et le budget alloué par l’Etat pour la construction avait obligé de repousser la date du lancement de la production à 1992.

Le cabinet des Ministres de l’URSS avait pourtant envisagé de transférer dans le budget de VAZ ce qu’il restait à financer et a même essayé d’associer au projet des constructeurs étrangers (Fiat en particulier, mais aussi Ford, Volkswagen et General Motors), mais ces options n’étaient pas du goût de la république souveraine du Tatarstan sur le territoire de laquelle on construisait l’usine. Au début du projet, VAZ considérait ElAZ comme un nouveau site de production où il pourrait produire d’autres modèles Lada, mais le gouvernement du Tatarstan avait catégoriquement nié la possibilité de transférer son « projet du siècle » à des entreprises ou des organisations situées en dehors de la république ! Comme issue à cette situation, Fiat proposa de transférer la fabrication d’un modèle qu’il produisait depuis longtemps, la Panda, pour laquelle l’URSS devrait acheter la licence de production. Mais au Tatarstan, on n’était d’accord ni pour cette variante, ni pour la mise en place d’une joint-venture.

Les fonctionnaires espéraient que KamAZ allait accepter le « cadeau » et terminer à ses frais la construction de l’usine. A Naberezhnie Tchelny on a pesé les « pour » et les « contre » avant de finalement refuser l’offre. Au final l’usine ElAZ, achevée à 28%, est restée une charge exorbitante dans le budget de la république du Tatarstan.

En 1993, le responsable de la fabrication et le directeur technique ont quitté ElAZ et des dizaines de spécialistes ont été forcé d’aller travailler chez VAZ et KamAZ… L’histoire de l’ElAZ-1121 s’est arrêtée sans avoir eu le temps de réellement commencer.

Togliatti, au début des années 90 et malgré l’avancement du projet, n’a pas envisagé de reprendre à son compte le modèle 1121. L’usine avait aussi ses problèmes liés à la fabrication de ses voitures et aussi au lancement de la production de ses futurs modèles, attendus depuis longtemps, comme la « Deciatka ».

P.S. : L’ironie du sort est qu’en 1988 une conférence scientifique et technique avait eu lieu à Elabouga où 300 participants avaient envisagé de produire une petite voiture « nationale » chez ElAZ même sans aucun soutien de l’URSS. Pourtant, il n’a jamais été possible de lancer sérieusement et pour longtemps la production de voitures à Elabouga, ni aidé par l’URSS, ni sans elle…

Légende des photos :

  • La Daihatsu Cuore L55-L60 est le prototype de l’Oka.
  • L’Oka a été conçue pour « son » acheteur. Mais en URSS, une voiture comme celle-ci, on l’aurait voulu un peu plus grande !
  • Une maquette taille réelle du prototype 1121.
  • Le nom de ElAZ-1121 a pu être entendu pour la première fois en 1989, dans le numéro de novembre de Za Roulem.
  • Le moteur trois cylindres 1121.
  • La conception générale de la VAZ-1111 (en photo) ne changeait pas. Mais le moteur et la suspension de l’ElAZ-1121 étaient nouveaux.
  • Dans le numéro de mars 1990 de Za Roulem, on évoquait le futur projet A-93 avec beaucoup de détails.
  • Le moteur trois cylindres devait améliorer les performances de cette petite voiture.
  • L’ElAZ-1121 ressemble beaucoup à une Oka normale mais il y a des différences.
  • Ces notes sur la suspension de la XM-1121 datent d’octobre 1990.
  • Les amateurs de voitures soviétiques ont eu le droit à quelques informations sur l’Oka modernisée en novembre 1991, juste après la chute de l’URSS.
  • Le sort de l’usine était incertain et l’on continuait donc d’écrire sur elle (Za Roulem, octobre 1991).
  • En 1993, on continuait à croire qu’ElAZ pourrait exister mais le point d’interrogation dans le titre montre que l’on y croyait plus vraiment (Za Roulem, janvier 1993).
  • Au début de 1994, il était clair que le miracle n’aurait pas lieu à Elabouga et tout le monde était désormais sûr du sort de l’ElAZ-1121.

Lu sur : http://www.kolesa.ru/article/vse-chto-vy-ne-znali-o-budushhem-oki-chto-takoe-elaz-1121
Adaptation VG

Tag(s) : #Histoire, #ElAZ, #1121, #Oka, #VAZ